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mon séjour dans la capitale avaient tous cherché à me détourner d’entreprendre un voyage qu’ils regardaient comme impossible ; mais une fois ma résolution connue, ils n’avaient cherché qu’à m’en faciliter l’accomplissement. Le manque d’auberges, l’éloignement des habitations, l’obligation d’acheter des chevaux et des mules pour éviter les lenteurs des caravanes, qui ne font que deux ou trois lieues par jour, ne sont encore que de légers inconvéniens. Il faut se pourvoir, comme en Orient, d’un lit, d’une cuisine, de provisions de toute espèce, car on ne peut compter sur les vendas qui parfois se rencontrent sur la route. Il faut en outre apporter un grand soin au choix des guides ; il ne suffit pas qu’ils connaissent les routes, ils doivent encore prendre soin des chevaux, veiller, veiller sur eux pendant la nuit, afin qu’ils ne s’écartent pas trop du campement. Un bon guide doit savoir ferrer, saigner les animaux blessés, réparer les bâts de charge. Les mulâtres sont particulièrement propres, par leur activité, leur intelligence, à remplir ces diverses conditions. Moins apathiques, moins indolens que les nègres, ils comprennent et exécutent vos ordres sans que vous ayez besoin de les répéter. Les nègres marchent à pied à côté de vos mulets, tandis qu’un bon camarada mulâtre est presque toujours monté.

Ma caravane consistait en six chevaux ou mulets, un pour mes bagages, un second pour mon domestique, les autres pour moi, pour un des guides, et pour servir en cas de besoin, car si un de ces animaux se blesse dans le cours du voyage, il est très difficile de le remplacer, n’importe à quel prix Tous les chevaux et mulets proviennent de la province de San-Paulo, et plus vous avancez dans l’intérieur du pays, plus leur valeur augmente.

Ouropreto, chef-lieu de la province de Minas-Geraës, était la première ville importante où je comptais m’arrêter après mon départ de Rio-Janeiro. Le voyage à Ouropreto, le séjour dans cette ville, devaient m’offrir l’occasion d’étudier sous plus d’une face la situation du pays, que je n’avais pu encore juger qu’imparfaitement à Rio-Janeiro. J’avais donc hâte de me mettre en route. Je profitai de la brise de mer pour m’embarquer dans un grand canot couvert qui devait me conduire à Porto d’Estrella. Le vent soufflait avec force, et les nombreuses îles qui s’élèvent dans la baie disparaissaient derrière moi. Bientôte je n’aperçus plus l’église de San-Theresa que comme un point noir à l’horizon ; j’entrai complètement dans la vie de voyages, et pour la première fois peut-être je doutai qu’il me fût possible d’atteindre mon but, car les routes sont peu sûres, et un voyageur peut être assassiné impunément dans un pays où il n’y a pas de justice. Je côtoyai les îles du Gobernador