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les Longin, les Origène, les Porphyre, elle avait donné à la poésie Callimaque et Apollonius, à l’histoire Duris de Samos et Manéthon aux sciences médicales Hérophile, Érasistrate, Dioscoride, aux mathématiques Euclide, à l’astronomie Sosigène, à l’érudition enfin toute une génération de grands critiques, un Ératosthènes, un Zénodote, un Aristarque. C’est dans ce centre des lettres, des sciences et des arts, où la Grèce, Rome, Pergame et l’Égypte venaient à l’envi répandre et mêler leurs trésors, que se forma peu à peu cette doctrine philosophique qui, dans un vaste et puissant éclectisme, devait réunir toutes les pensées, toutes les croyances, toutes les traditions, toutes les gloires du passé pour les opposer à l’esprit nouveau.

L’éclectisme d’Alexandrie n’exclut pas une originalité profonde. Il a pour base le platonisme, mais il y assimile avec puissance une foule d’autres élémens, et présente au monde un panthéisme mystique que la pensée grecque n’avait pas connu. À la Trinité chrétienne, il oppose la sienne ; au principe de la création, celui de l’émanation. Il a son Verbe, son médiateur, ses légions d’anges et de démons ; il a sa théorie de la grace et de la prière, ses pratiques de mortification et de pénitence, son culte épuré et rajeuni, ses prophètes, ses inspirés, ses miracles ; il a des docteurs et des prêtres, des prédicateurs et des martyrs. Spectacle unique dans les annales du monde ! À côté du Musée d’Alexandrie grandit et s’élève le Didascalée des chrétiens. Dans la même cité, le Juif Philon et le pyrrhonien Œnésidème fondent leurs écoles. Saint Pantène, Ammonius Saccas, vont y venir. Bientôt Lucien la traversera au moment où y enseigne Clément d’Alexandrie. Après Plotin, nous y trouverons Arius et Athanase. Le scepticisme grec, le judaïsme, le Platonisme et la religion du Christ y auront des interprètes non loin du temple de Sérapis.

Mais ce qui fait à nos yeux le plus puissant intérêt de cette curieuse époque, ce sont les surprenantes analogies qui la rapprochent de la nôtre. Loin de nous la pensée d’assimiler en aucune façon la religion de la Grèce et de Rome avec le christianisme ; mais, quelle que soit la supériorité de la religion la plus sainte et la plus pure qui fut jamais, et quoi qu’on puisse penser de l’éternité promise à l’église, personne ne contestera que, depuis trois siècles, son unité n’ait été profondément ébranlée, et que de graves symptômes de dissolution et de décadence n’éclatent de toutes parts. À Dieu ne plaise aussi que nous voulions prédire à la philosophie de notre temps les tristes destinées de l’école d’Alexandrie ! Non, nous sommes profondément convaincu que l’avenir appartient à la philosophie du XIXe siècle ; mais les plus lé-