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phique et un talent de style de l’ordre le plus élevé, nous dévoile un système d’une grandeur et d’une originalité inattendues, et sans lequel il est impossible de se rendre un compte sévère du rôle qu’Alexandrie a joué dans le monde, des luttes mémorables qu’elle a soutenues contre l’église naissante, de l’influence qu’elle a exercée sur les développemens du christianisme, enfin, des causes profondes qui, après l’avoir élevée si haut, ont amené sa décadence et ses revers. Avant donc d’examiner ces hautes et périlleuses questions que M. Jules Simon a aussi touchées avec un rare talent, quoiqu’il n’ait pu encore que les effleurer cherchons avec lui à déterminer les caractères, à constater les origines à éclaircir les principes de la philosophie alexandrine. Comme lui, n’ayons pas peur de la métaphysique. Pour les esprits frivoles, elle obscurcit toutes les questions ; mais c’est elle au fond qui les éclaire.

I.

L’école d’Alexandrie a été fondée par Ammonius Saccas, vers la fin du second siècle de l’ère chrétienne. Esquissons rapidement l’état du monde civilisé à cette époque. Si l’on regarde à la surface, rien de plus régulier, de plus imposant que cette immense réunion de peuples divers sur lesquels Rome, après huit siècles de luttes et de victoires, avait étendu le niveau d’une administration uniforme, partout puissante et partout respectée ; mais pour qui pénètre jusqu’aux sources mêmes où s’alimente la vie des peuples, la scène change, et l’apparente régularité de ce monde que Rome a soumis ne couvre que désordres et que ruines.

L’antique religion d’Orphée, d’Homère et d’Hésiode avait perdu tout prestige. Le sacerdoce dégénéré n’avait plus le sens de cette ingénieuse et profonde mythologie des anciens jours. Marque décisive de la décadence d’une religion ! la philosophie, dès le IVe siècle avant Jésus-Christ, au lieu d’attaquer le paganisme, le protège contre l’excès et la brutalité d’un scepticisme frivole : elle s’applique à retrouver sous la lettre des croyances antiques l’esprit qui autrefois les vivifia. Platon se complaît à encadrer ses plus beaux dialogues dans un de ces poétiques récits que lui livre la tradition religieuse ; Aristote, interprétant avec une philosophie indulgente la religion ionienne, prononce cette parole célèbre, bien altière dans sa haute modération : Le philosophe est l’ami des mythes, Φιλόσοφος φιλόμυθος[1].

  1. Métaphysique, liv. I, chap. 4.