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le prouver par des argumens dont on a fait soi-même toucher au doigt la faiblesse. Voici une assertion plus grave encore. On soutient que le dualisme, le panthéisme et tous les systèmes des philosophes qui ont consumé leur génie à éclaircir, à expliquer le rapport de Dieu au monde, tout cela n’est qu’une suite d’illusions, un jeu d’esprit stérile. Suivant M. Jules Simon, la question du rapport du fini à l’infini est entièrement insoluble. Cependant il la résout et se prononce explicitement pour la doctrine de la création ex nihilo. Qu’est-ce à dire ? M. Jules Simon voit-il dans cette doctrine une solution positive du problème du rapport du fini avec l’infini ? Il parait bien, car il ne veut pas convenir que cette solution soit négative. D’un autre côté, il ne croit pas à la possibilité d’une solution. La vérité est que M. Jules Simon n’attache qu’une bien médiocre importance à ce genre de problèmes. Dualisme, panthéisme, création ex nihilo, il ne voit là que des métaphores qui nous déguisent le vide absolu de nos idées. Si donc il penche pour la création ex nihilo, c’est précisément à cause de son caractère tout exclusif et tout négatif, qu’il paraissait d’abord lui contester.

Pour nous, nous ne pouvons admettre que les efforts des métaphysiciens pour résoudre le premier problème de la philosophie, que les spéculations d’Aristote et de Platon, de Plotin et de Spinoza, n’aient abouti qu’à substituer une métaphore à une autre, et que ces grands esprits, qui croyaient s’occuper de choses, n’aient spéculé que sur des mots. C’est d’abord une grave injustice de considérer d’un œil si dédaigneux les plus hautes spéculations des philosophes ; c’est en outre pour soi-même un grave danger.

Il n’est pas exact de dire que le dualisme et le panthéisme expliquent le rapport du fini à l’infini par une pure métaphore. La conscience humaine, à laquelle il faut toujours en revenir en saine métaphysique, nous fournit le type de deux sortes d’actions parfaitement distinctes. La volonté de l’homme agit sur la nature extérieure. L’industrie ne peut, il est vrai, donner l’être à un brin de paille ; mais elle peut changer la face du monde. L’artiste ne peut créer une statue ; mais donnez-lui du marbre, et il en tirera Minerve ou Jupiter. Telle est l’idée que les hommes se sont souvent formée de l’action divine : et de là le dualisme. La matière et Dieu sont deux principes coéternels également nécessaires. Dieu agit sur la matière et lui imprime les formes sublimes de sa pensée ; il ne lui donne pas l’être, mais le mouvement, l’ordre et la vie.

Or il y a dans la conscience de l’homme le type d’une action plus