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ne jouit de cette haute faveur qu’une seule fois. Saint Augustin caractérise à merveille ce dernier personnage qui hésita, dit-il, toute sa vie entre les sacrilèges secrets de la magie et la profession de philosophe. Pour Jamblique, il n’a plus rien du génie grec ; c’est un prêtre oriental. Vainement Proclus s’efforce de ramener dans Alexandrie l’élément platonicien. Tandis qu’il travaillait laborieusement à cette réforme impossible, le christianisme avait accompli l’union de l’Orient et de la Grèce par le dogme à jamais saint de l’Homme-Dieu.

Certes, le dieu du christianisme est grand. En dehors, au-dessus de l’espace et du temps, il se suffit à lui-même dans la béatitude inaltérable d’une vie parfaite. Il se possède, il se connaît, il s’aime. Fécond sans sortir de soi, il trouve dans son propre fonds une société éternelle, un commerce ineffable d’intelligence et d’amour. Et cependant ce dieu si grand, si indépendant, s’incarne dans l’homme par une effusion de sa bonté. L’homme est faible, il naît pécheur. Heureuse faiblesse, s’écrie un père, heureux péché où éclate la liberté de l’homme qui le rend semblable à Dieu et digne de le connaître et de l’aimer Le mystère de l’Incarnation donne à l’homme un prix infini ; il consacre l’union de la personnalité avec Dieu ; il rend la nature humaine capable de l’éternel et du parfait.

La personne humaine réhabilitée relève le prix de la vie. Puisque Dieu même a voulu vivre de la vie des hommes, cette vie n’est donc pas si méprisable. Et quelle a été la vie de ce dieu incarné, la vie qui doit servir de modèle à la nôtre ? Jésus-Christ est-il un contemplatif, un solitaire, un ascète ? Non ; il passe au milieu des hommes en leur faisant du bien. Ses miracles font éclater sa bonté plus encore que sa puissance : c’est un malade qu’il guérit, une fille qu’il rend à sa mère. Il couronne enfin cette vie de charité par un sacrifice suprême, et du haut de sa croix il embrasse le genre humain.

Qu’il y a loin de cette philosophie, de cette morale à la fois si sublimes et si pratiques, à ce mysticisme chimérique d’Alexandrie où l’activité libre, la personnalité sont considérées comme le sceau de la faiblesse, où le comble de la vertu est une vie oisive et extatique, consumée dans l’oubli de soi-même et du genre humain. On lit dans la Cité de Dieu un récit où se caractérise fortement ce contraste profond de l’esprit d’Alexandrie et de celui du christianisme. « Quelqu’un ayant demandé à Apollon à quel dieu il devait s’adresser pour retirer sa femme du christianisme, Apollon lui répondit : Il vous serait peut-être plus aisé d’écrire sur l’eau ou de voler, que de guérir l’esprit