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savoyard ; mais il n’a réussi qu’à réunir avec éloquence un certain nombre de nobles pensées, entre lesquelles chacun choisit ce qui lui convient. Ce qu’on appelle religion naturelle, ce n’est donc autre chose au fond que l’instinct religieux, l’idée naturelle de Dieu et de l’ordre. Dès que vous déterminez cette idée par la pensée et par la parole, de deux choses l’une, vous avez un symbole religieux ou un système philosophique.

Entre ces deux partis extrêmes, également violeras, également exclusifs, se placent tous les esprits qui, plus étendus, plus prévoyans, plus éclairés, connaissent l’excellence de la philosophie et la nécessité de la religion, et ne veulent sacrifier ni l’une ni l’autre. Mais ils arrivent à ce but commun par des voies bien différentes : les uns croient à la possibilité d’une fusion intime entre le christianisme et l’esprit nouveau, soit qu’après avoir conçu un grand système philosophique, ils soutiennent, comme Hegel et Schelling en Allemagne, que ce système est en parfait accord avec les dogmes du christianisme, soit qu’à l’exemple de l’illustre auteur de l’Essai sur l’Indifférence, ils prennent pour base le dogme catholique et s’efforcent d’y faire pénétrer une philosophie en harmonie avec les progrès et les besoins de l’esprit moderne. Quel a été le résultat de ces tentatives ? En Allemagne, la théodicée hégélienne, qui aboutit à une sorte d’athéisme, et la Vie de Jésus-Christ du docteur Strauss, qui sape le christianisme par sa base ; en France, l'Esquisse d’une Philosophie, où on commence par admettre la Trinité, où l’on finit par nier le péché originel, c’est-à-dire l’Incarnation et la Rédemption. Voilà où conduit le désir de concilier les contraires.

D’autres rêvent une religion nouvelle. Ces esprits généreux ne se trompent, il est vrai, que faute de se rendre un compte assez sévère de leurs propres desseins. Sortis du christianisme orthodoxe, la philosophie ne leur suffit pas : ils la trouvent trop abstraite, trop spéculative, trop isolée du peuple. Ils veulent une religion.

Mais au nom du ciel, que peut être au XIXe siècle une religion nouvelle, hors du christianisme et de la philosophie ? Nous avouons ne pas le comprendre. Cette religion aura-t-elle des prophètes, des miracles, un messie ? On croit rêver en discutant de telles folies. A qui espère-t-on persuader le retour du surnaturalisme ? Depuis Descartes et Galilée, son règne est fini. Les lois de la nature et de l’esprit sont assez connues aujourd’hui pour que l’idée d’une intervention surnaturelle de Dieu soit inévitablement repoussée, non-seulement par la science, mais par le bon sens. Un messie au XIXe siècle est un charlatan ou un fou.