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affectionne plus volontiers les partis exagérés, violens, ceux qui mettent en danger le repos et les institutions de leur pays. D’où vient cette différence ? Serait-ce qu’il y a dans le monde deux politiques ? l’une, peu désintéressée, peu noble, dont le système est de triompher à tout prix ; l’autre, plus élevée et plus digne, qui sait faire à son honneur le sacrifice d’un intérêt d’ambition, qui prêche aux gouvernemens nouveaux une liberté sage, parce qu’elle en connaît elle-même les bienfaits, qui se croit tenue, quoi qu’il arrive, à soutenir partout les droits de la vérité et du bon sens, et qui ne consentirait jamais à profiter de l’inexpérience d’un peuple pour le pousser, par des suggestions hypocrites, dans une voie contraire à sa fortune. Si ces deux politiques existent, l’Europe pourra se demander quelle est la nôtre, et le résultat de cet examen ne pourra pas nous nuire près d’elle dans les circonstances présentes.

Les nouvelles du Levant ont présenté depuis peu des faits dignes d’intérêt. Un différend entre la France et la Porte a été heureusement terminé, grace à la fermeté de notre ambassadeur à Constantinople. Des violences avaient été exercées dans la ville de Mossoul contre des religieux établis sous la protection de la France. Le sang chrétien avait coulé dans une émeute excitée par des fanatiques. Le consul français lui-même avait été frappé. M. de Bourqueney a exigé aussitôt un juste châtiment de ces excès. Après quelques difficultés, qui ont été sur le point d’amener une rupture, toutes les conditions posées dans l’ultimatum de notre ambassadeur ont été acceptées. Les coupables ont été punis. Nous aimons à rencontrer cet acte de vigueur sur un théâtre où notre diplomatie doit veiller plus soigneusement que jamais à garder son rang, et à ne pas souffrir la plus légère atteinte à ses droits.

Tout le monde sait le singulier tour que Méhémet-Ali a joué à la presse de l’Europe. On nous annonce un beau matin qu’il abdique et se retire à la Mecque. Aussitôt nous nous lançons dans les hypothèses. Nous comparons d’abord Méhémet à Charles-Quint. Nous admirons en lui ce superbe mépris des grandeurs humaines, et cette passion subite pour la gloire des prophètes. Les uns disent qu’il est fou, les autres qu’il n’a jamais été plus profond politique. On parle d’un traité par lequel il met Ibrahim sous la protection de l’Angleterre. Nous voyons déjà une armée britannique allant dans l’Inde par l’isthme de Suez. Sur ces entrefaites, on apprend que le malicieux vieillard est revenu paisiblement au Caire, et tous nos songes orientaux s’évanouissent. Toutefois, ce ne doit pas être un motif pour déclarer souverainement absurdes certaines suppositions que la promenade de Méhémet-Ali a fait naître. Si l’Orient est le pays des mystères, il est aussi le pays des ambitions gigantesques et des grandes usurpations : la France ne doit pas l’oublier.