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franchir. Ce village se compose d’une soixantaine de maisons, toutes d’un aspect misérable, construites en bois et recouvertes de feuilles de palmier. Les inondations du fleuve, qui ont plus d’une fois enlevé ces cabanes légères, ne permettent pas d’entreprendre des constructions plus solides sur un sol sablonneux et sans consistance. Chaque année, l’eau emporte avec elle de vastes portions de terrain, et souvent même elle entraîne les belles plantations de cocotiers qui entourent les maisons des habitans. Le commerce de Belmonte consiste en jaquaranda et autres bois précieux, ainsi qu’en noix de cocos[1], qu’on expédie à Bahia. Les retours se font en vins, bœuf salé, eaux-de-vie, étoffes, et sel. Expédiées dans le haut de la rivière, les denrées envoyées de Bahia parviennent jusqu’à Minas-Novas et à l’arroial du Grand-Mogol. Ce commerce occupe une quinzaine de barques jaugeant de 30 à 40 tonneaux. A mon arrivée à Belmonte, aucune de ces barques n’était dans le port, et je dus attendre qu’une occasion se présentât de gagner Canasvieras, d’où je comptais atteindre la mer pour me rendre à Bahia.

J’avais passé trois jours à Belmonte, et je quittai sans regret ce triste village. J’appris plus tard que j’étais parti à temps, car la maison dans laquelle j’étais logé fut enlevée par un débordement du fleuve peu d’instans après que je l’eus quittée. Au moment de mon départ, les eaux étaient déjà hautes. Après une navigation pénible, nous fûmes arrêtés par les sables. Il fallut descendre à terre, traverser les sables à pied, pour nous embarquer de nouveau sur le Rio-Salso, qui communique au Rio-Pardo, et atteindre Canasvieras. Des vents contraires et le débordement du Rio-Pardo me retinrent plusieurs jours dans ce misérable village, composé de deux cents maisons en bois. Le commerce de Canasvieras consiste en farine et en riz, qu’on expédie à Bahia avec quelques chargemens de jaquaranda. Il y a trois ans environ, quatre-vingts maisons furent emportées par un débordement. Pendant mon séjour, plus d’une vingtaine furent entraînées par les eaux. Les habitans montraient

  1. En calculant la valeur d’une noix de coco à 20 reis (5 centimes), un cocotier rapporte 12 francs par an. Le jaquaranda coûte de 30 à 40,000 reis (75 à 120 fr.) la douzaine de blocs ronds, carrés ou ovales, de 7 à 8 pieds de longueur sur une épaisseur d’environ 6 à dix pouces. Le fret jusqu’à Bahia est de 60 à 75 fr. ; ces bois, rendus à Bahia, se vendent, selon leur qualité, de 200 à 300 fr. Aujourd’hui, l’extraction du jaquaranda est devenue plus coûteuse ; tous les arbres qui étaient sur les rives ont été exploités. Il faut pénétrer dans l’intérieur des forêts ; les frais se trouvent presque doublés par le transport jusqu’au lieu d’embarquement, car on ne peut frayer un passage aux blocs de jaquaranda qu’en abattant une grande quantité de bois.