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du fleuve. Ce gouvernement voit les peuplades indiennes échapper à son influence ; tôt ou tard, que ce soit l’Angleterre ou la France qui prennent l’initiative, le cours intérieur de l’Amazone sera ouvert à une navigation régulière. Un territoire immense et des populations opprimées ne peuvent être long-temps tenues à l’écart du mouvement commercial et civilisateur de l’Europe.

Après les différends avec les grandes puissances viennent les querelles avec les petits états. En 1828, l’établissement de la république de l’Uruguay reporta vers le nord la frontière du Brésil et lui fit perdre sa limite du Rio de la Plata. Depuis 1835, la province de Rio-Grande, qui touche à la république de l’Uruguay, est en lutte contre le Brésil. Sans la guerre civile qui a éclaté entre Buenos-Ayres et Montevideo, le Brésil eût depuis long-temps été forcé de renoncer à cette province, qu’on doit considérer en fait comme séparée de l’empire. Une autre province, celle de San-Paolo, tend à se détacher du Brésil et s’en séparera d’ici à quelques années. La cause qui arrache à l’empire ces deux provinces est l’incompatibilité de caractère et de tendances qui existe entre les hommes d’origine espagnole, les gauchos de Montevideo et de Rio-Grande, et les peuples abâtardis de race portugaise. L’indépendance de Montevideo a été une victoire de ce sentiment de supériorité innée et réelle qui porte la race espagnole à secouer la domination des Portugais, trop faibles pour maintenir leur autorité compromise. Les gauchos de Rio-Grande ont reconnu des frères dans les Espagnols de Montevideo, ils ont fait cause commune avec eux ; San-Paolo suivra cet exemple. Le Brésil ne pourra rien retenir ni rien empêcher.

Si des affaires extérieures nous passons aux questions intérieures, nous ne rencontrerons encore qu’obstacles et dangers. Nous avons déjà indiqué la plupart de ces difficultés, la stagnation du commerce, les révoltes toujours renaissantes, l’impuissance des autorités, la vénalité de la justice, l’ambition farouche de la race noire, l’attitude hostile des tribus indiennes, enfin (et c’est là surtout ce qui doit alarmer les hommes politiques du Brésil) l’état moral des habitans. Il ne faut pas trop s’étonner des tristes tableaux qu’offre la civilisation brésilienne. Les mœurs de la population s’expliquent par son passé. Dans l’origine, les Portugais n’attachèrent qu’une importance secondaire à la possession du Brésil ; on ne pensait alors qu’à s’établir aux Indes orientales, et on eut grand’peine à recruter des émigrans pour le Brésil. Il fallut y envoyer les proscrits, les victimes échappées aux auto-da fé, les femmes de mauvaise vie. Ainsi se forma une population