Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/923

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jouait à l’Amyot. C’est par de telles études préparatoires, quand on ne s’y oublie pas, c’est par de tels ingénieux secrets, longuement médités, que les vrais poètes savent ressaisir, d’un puissant effort, les langues et les styles aux âges de décadence, parviennent à les arrêter au penchant, ou même leur font remonter avec honneur les pentes glorieuses.

En mai 1817, Leopardi se permettait une autre supercherie qui sent davantage son Chatterton ou son Macpherson ; il publiait dans le Spectateur une traduction en vers d’un prétendu hymne grec à Neptune, qu’il donnait comme nouvellement découvert. Le tout était accompagné de notes et de commentaires destinés à jeter une docte poussière aux yeux. Enfin deux odes grecques dans le goût d’Anacréon s’ajoutaient comme provenant du même manuscrit. Leopardi, pour surcroît d’authenticité, produisait le texte de ces deux petites odes (de sa façon), et il s’excusait de ne les point traduire, sur ce qu’on ne traduit pas Anacréon. L’une de ces odes n’offre qu’une des mille variantes de l’Amour enchaîné de roses, l’autre est à la Lune ; cette dernière a droit de passer pour un fort gracieux pastiche et très propre à faire illusion.

Pour achever de noter ce qu’il y a de mémorable dans ces préludes de Leopardi avant l’âge de vingt ans, j’indiquerai encore une dissertation de lui sur la réputation d’Horace chez les anciens (décembre 1816). Le jeune critique s’autorise d’un passage de Fronton, du silence de Velleius et de quelques autres indices, pour conjecturer qu’Horace, dans le siècle qui suivit le sien et même un peu au-delà, était loin d’avoir acquis cette renommée classique incontestée qui ne s’est consolidée que plus tard. Il y aurait eu, du temps de Fronton, un retour aux anciens, aux plus anciens qu’Horace, et celui-ci en aurait souffert, comme, par exemple, Boileau, de nos jours, a pu souffrir d’un retour, vers Régnier. Horace, en effet, selon Leopardi et selon quelques autres, aurait été en son temps un grand novateur, un artiste aussi habile que peu timoré en fait de langage ; il s’était de plus montré sévère ou dédaigneux pour ses prédécesseurs, pour Plaute, pour Catulle, et dans cette réaction archaïque un peu tardive, dont Fronton était l’un des chefs, on le lui faisait payer.

Cependant, à travers cette diversité de travaux précoces, Leopardi mûrissait au talent, et le poète original en lui allait éclater. En 1818, c’est-à-dire à vingt ans, il fit imprimer à Rome ses deux premières canzones, l’une à l’Italie, l’autre sur le monument de Dante qui se préparait à Florence. Une troisième parut à Bologne, en 1820, adressée à