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considérable est restée dans le pays, ou a été expédiée en contrebande.

J’assistai, le 2 décembre 1842, aux cérémonies célébrées à Ouropreto pour l’anniversaire de la naissance de l’empereur. Entraîné bien contre mon gré, je dus entendre un Te Deum chanté à l’église paroissiale. Malgré les brillans uniformes, les décorations de tous les fonctionnaires, on aurait pu, en entendant ces voix si monotones, cette musique si lente, en nous voyant tous un énorme cierge à la main, croire que nous assistions à un enterrement. Le Te Deum fini, il fallut voir défiler les troupes, assister aux salves, aux cris obligés ; , les quatre cents hommes de la garnison, mi-partie noirs, mi-partie blancs, marchaient comme des soldats dont la vie se passerait à dormir. Les officiers, par une prudence que j’admirai, descendirent de cheval au moment du défilé, sans doute pour ne pas nous donner le chagrin de les voir tomber au premier mouvement d’effroi de leurs chevaux, qui n’ont jamais entendu le feu. La revue terminée, tous les employés accompagnèrent le président à son palais, et tous vinrent mettre le genou en terre devant le portrait de l’empereur ; ce soi-disant baise-mains est un usage curieux dans un pays qui se croit assez civilisé pour se constituer en république. Le soir, il y avait grand spectacle ; le portrait de l’empereur fut placé sur la scène, un couplet fut chanté : trois vivats, dont le président donna le signal, furent répétés par l’assemblée. Le portrait une fois retire de la scène, on oublia l’empereur pour s’occuper de la pièce, dont tous les rôles, même ceux des femmes, étaient joués par des officiers et des soldats. Une mauvaise traduction d’Inès de Castro composait le spectacle. Les acteurs, trahis par leur mémoire, s’arrêtèrent souvent au milieu des plus belles tirades. La salle était petite et basse ; il n’y avait qu’une ou deux femmes assez jolies ; les autres, me dit-on, avaient été effrayées par la pluie. Après être resté quelques instans dans la salle, je fus heureux de laisser le drame s’achever sans moi.

A Ouropreto, je pouvais étudier sous une face nouvelle la situation politique du Brésil. À Rio, j’avais vu de près la marche du gouvernement brésilien, j’avais observé les hommes et les partis sur le théâtre même de leurs incessans débats ; à Ouropreto, je retrouvais l’action du gouvernement telle qu’elle s’exerce à l’intérieur du pays, à douze journées de la capitale, dans la province la plus riche et la plus peuplée de l’empire, et le désordre de l’administration, l’impuissance de l’autorité, me prouvaient combien il reste à faire pour assurer a la société brésilienne les bienfaits d’une forte et sage direction. Au-delà