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ayant profité de ses observations, il lui a rendu un éclatant hommage[1]. En quittant Rome, il le recommanda vivement à M. Bunsen, avec qui le poète noua des relations toujours continuées. Pendant son séjour à Rome, Leopardi inséra dans les Effemeridi letterarie Romane, de savans articles sur le Philon arménien d’Aucher, sur la République de Cicéron publiée par Mai ; il donna une grande dissertation critique sur la Chronique d’Eusèbe publiée par le même infatigable Mai conjointement avec Zohrab. Ce sont, assure-t-on, les plus importans parmi ses travaux de ce genre ; le jugement de Niebuhr nous dispense d’y insister davantage. Ce séjour de Rome fut peu propre d’ailleurs à faire revenir Leopardi de certaines préventions et aversions déjà conçues. A côté des satisfactions fort douces qu’il y recueillit, il ressentit bien des ennuis, bien des gênes, sans parler de celles qui tenaient à sa situation personnelle. Il éprouva, comme Courier, la jalousie et les mauvais tours de certain bibliothécaire (Manu) qu’il a fustigé sous l’allégorie du Manzo (bœuf) dans des sonnets satiriques un peu trop conformes au sujet[2].

En 1824, parut à Bologne le premier recueil de ses Canzoni, contenant les trois premières déjà publiées et sept autres inédites. Le poète était retourné de Rome à Recanati, à l’abborrito e inabitabile Recanati, comme il l’appelle. Sa santé s’altérant de plus en plus, et

  1. « Parmi les érudits, dit-il à la fin de sa préface, dont les conjectures heureuses m’ont profité, est le comte Jacques Leopardi, que j’annonce à mes concitoyens comme l’un des ornemens actuels de l’Italie, comme l’une de ses futures et de ses plus certaines espérances. » Mais il faut laisser à ce témoignage mémorable l’autorité de son texte tout-à-fait classique : « Comes Jacobus Leopardius, Recanatensis Picens, quem Italiae suae jam nunc conspicuum ornamentum esse, popularibus meis nuntio ; in diesque eum ad majorem claritatem perventurum esse, spondeo : ego vero, qui candidissimum praeclari adolescentis ingenium, non secus quam egregiam doctrinam, valde diligam, omni ejus honore et incremento laetabor. » (Merobaudis carminum Reliquiœ ; Bonn, 1824.)
  2. Leopardi parle avec dégoût, dans l’une de ses lettres, de la infame gelosia de bibliotecarii, insuperabile a chi non sia interessato a combatterla personalmente. Quand il énumère les congés de la Vaticane et des autres bibliothèques, qui sont en vacances la moitié de l’année, et qui, le reste du temps, profitent de toutes les fêtes et de tous les saints du calendrier, sans compter deux ou trois jours de clôture régulière par semaine, il me rappelle le conte malin de Boccace imité par La Fontaine. Il semble tout-à-fait que le gouvernement de ce pays applique à la science le calendrier des vieillards, de peur qu’elle ne devienne féconde :
    On sait qui fut Richard de Quinzica,
    Qui mainte fête à sa femme allégua,
    Mainte vigile et maint jour fériable…