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la meilleure place. Nous oserons en reproduire quelques-unes en vers, prévenant le lecteur, une fois pour toutes, que nous savons toute l’infériorité de l’imitation, que nous avons par instans paraphrasé plutôt que traduit, et que bien souvent, par exemple, nous avons mis cinq mots là où il n’y en a que trois. Chez Leopardi, je le rappelle, pas un mot inutile n’est accordé ni à la nécessité du rhythme ni à l’entraînement de l’harmonie : la simplicité grecque primitive diffère peu de celle qu’il a gardée et qu’il observe religieusement dans sa forme. Malgré tout, nous croyons avoir mieux réussi de cette façon à donner quelque idée de la muse tendrement sévère[1].

L’INFINI

J’aimai toujours ce point de colline déserte,
Avec sa haie au bord, qui clôt la vue ouverte,
Et m’empêche d’atteindre à l’extrême horizon.
Je m’assieds : ma pensée a franchi le buisson ;
L’espace d’au-delà m’en devient plus immense,
Et le calme profond, et l’infini silence,
Me sont comme un abîme ; et mon cœur bien souvent
En frissonne tout bas. Puis, comme aussi le vent
Fait bruit dans le feuillage, à mon gré je ramène
Ce lointain de silence à cette voix prochaine :
Le grand âge éternel m’apparaît, avec lui
Tant de mortes saisons, et celle d’aujourd’hui,
Vague écho. Ma pensée ainsi plonge à la nage,
Et sur ces mers sans fin j’aime jusqu’au naufrage.

LE SOIR DU JOUR DE FÊTE

Douce et claire est la nuit, sans souffle et sans murmure ;
A la cime des toits, aux masses de verdure,
La lune glisse en paix et se pose au gazon,
Et les coteaux blanchis éclairent l’horizon.

  1. L’Allemagne, toujours si au courant, possède, depuis plusieurs années, des traductions en vers du poète. M. Bothe (le savant éditeur d’Homère) en a traduit quelques morceaux, et M. Karl Ludwig Kannegiesser, traducteur du Dante, a également traduit tout le recueil de Leopardi. Puisque j’en suis à ces indications d’outre-Rhin, je noterai aussi un excellent article biographique sur Leopardi, par M. Schulz, dans l'Italia (espèce d’almanach allemand rédigé à Rome par des Allemands qui vivent en Italie, année 1840), et des articles de la Gazette d’Augsbourg (septembre 1840.)