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Souveraine du temps. A quelque heure fidèle
Qu’il te plaise venir m’enfermer dans ton aile,
Sois certaine de moi : toujours fier et debout,
Résistant au Destin et luttant malgré tout,
Refusant de bénir le dur fouet dont je saigne
Et de flatter la main qui dans mon sang se baigne,
Comme fit de tout temps le vil troupeau mortel,
Sois-en certaine, ô Mort, tu me trouveras tel ;
Et rejetant encor toute espérance folle,
Tout leurre où, vieil enfant, le monde se console ;
Comptant sur toi, toi seule, et pour mon ciel d’azur
N’attendant que le jour impérissable et sûr
Où je reposerai ma fatigue endormie
Sur ton sein virginal, ô la plus chaste amie !

Il me semble qu’après de tels témoignages Leopardi n’a plus qu’à mourir. Il traînait à Naples ses dernières années, séquestré du monde et de toute communication active avec le dehors, gêné par la censure locale dans les éditions définitives qu’il voulait publier de ses écrits, mais entouré des tendres soins de son fidèle Ranieri, et consolé aussi par quelques visites passagères, telles que celles du noble poète allemand Platen, qui s’en allait mourir en Sicile vers ce même temps. Je ne fais qu’indiquer un dernier poème en octaves : Paralipomeni della Batracomiomachia di Omero (la suite de la Batrachomyomachie d’Homère), espèce de composition satyrico-politique à laquelle s’amusait le malade à ses heures de relâche, et qu’il a menée à fin. Cette veine-là nous plaît moins chez Leopardi ; elle nous est d’ailleurs peu accessible par la difficulté d’entendre ces sortes d’allusions. Nous nous tenons en ce genre à sa pièce adressée à Capponi sous le titre de Palinodie, dans laquelle il se moque très agréablement de notre progrès proclamé par les journaux et de notre âge d’or industriel. Cependant le choléra avait fait invasion à Naples ; Ranieri devait emmener son ami à la campagne, à Portici : au moment du départ, le 14 juin 1837, à cinq heures de l’après-midi, le malade expira subitement, non point du choléra, mais d’une hydropisie de poitrine arrivée à son dernier période. Il n’était âgé que de trente-neuf ans moins quinze jours. Quelques heures avant sa mort, sur la demande d’un ami, il avait écrit quelques vers dans le goût de Simonide ou de Mimnerme, et dont voici le sens : « Mais la vie mortelle, depuis que la belle jeunesse a disparu, ne se colore plus jamais d’une autre lumière ni d’une autre aurore ;