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Les deux hauts personnages s’accusèrent mutuellement d’avoir humilié la nation brésilienne, en ordonnant de rendre et en rendant trop d’hommages à l’ambassadeur d’Angleterre. Il s’agissait d’un roulement de tambour, d’un drapeau incliné mal à propos. La population s’émut ; on reprocha au ministère sa lâche condescendance ; abaisser le drapeau national devant un envoyé anglais, c’était avilir la nation. Le ministre de la guerre, après avoir justifié : sa conduite dans les journaux, envoya sa démission, qui fut acceptée par l’empereur, et le ministère dut se dissoudre pour faire place à des hommes restés étrangers à cette grave question et disposés à refuser toute concession à l’Angleterre.

Les changemens de ministère et de direction politique ont toujours eu des motifs aussi futiles. Sous ces apparences frivoles se cache cependant un mal sérieux : c’est l’influence européenne qu’on veut combattre, et cette influence aurait d’excellens résultats pour le Brésil. On s’obstine cependant, on persiste à repousser, à écarter l’étranger, car on est persuadé que le commerce avec l’Europe, loin d’être favorable au pays, entraîne la perte de tout l’or produit par les mines. Cette opinion, qui est celle de tous, des sénateurs comme des représentans, oblige le gouvernement à limiter de plus en plus ses rapports avec les états européens. Le pouvoir est entraîné dans une voie fausse, et personne au Brésil ne semble bien comprendre la situation.

Il appartiendrait aux chambres de suppléer à l’impuissance du pouvoir dirigeant, et les députés réunis à Rio-Janeiro pourraient éclairer le pays sur ses véritables intérêts, si l’orgueil national n’étendait encore ici sa funeste influence. Par malheur, on ne semble occupé que de flatter sans cesse l’amour-propre des Brésiliens. Souvent j’ai entendu des hommes politiques avouer que la civilisation actuelle du pays n’est pas en harmonie avec les institutions représentatives ; ils reconnaissent la nécessité d’adopter une politique large, qui, imposant silence aux influences locales, aux intérêts particuliers, fasse marcher la nation dans une voie meilleure. De tels aveux n’ont aucune portée. Les mêmes hommes arrivant au pouvoir tiennent un langage tout différent : dédaignant les conseils de l’expérience, ils n’oseront s’engager dans aucune réforme sérieuse, de peur de blesser l’orgueil national. Ce déplorable sentiment se fait jour même dans les question d’intérêt matériel et d’administration provinciale. Les députés des différentes provinces écartent la discussion des affaires que soulève l’état de leur localité ; ils craindraient d’être forcés de convenir que leur province n’est ni aussi avancée en civilisation ni aussi riche que les autres ; au