Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/973

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
967
MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE.

sans déchirement, sans secousse, presque sans calcul : cours naturel des choses d’ici-bas. Stamply lui-même fut long-temps à comprendre ce qui se passait autour de lui. Lorsqu’enfin ses yeux se dessillèrent et qu’il vit clair dans sa destinée, il ne se plaignit pas : un ange veillait à ses côtés, qui le regardait en souriant.

Mlle de La Seiglière tenait de sa mère qu’elle n’avait jamais connue, et de la pauvreté au sein de laquelle avait grandi, un caractère silencieux, un esprit réfléchi, un cœur grave. Par un contraste assez commun dans les familles, elle s’était développée en sens inverse des exemples qu’elle avait reçus, sans rien garder de son père, qu’elle aimait d’ailleurs passionnément, et qui la chérissait de même ; seulement, l’amour d’Hélène avait quelque chose de protecteur et d’adorablement maternel, tandis que celui du marquis se ressentait de toutes les puérilités du jeune âge. Élevée dans la solitude, Mlle de La Seiglière n’était elle-même qu’un enfant sérieux. Sa mère lui avait transmis, avec le pur sang des aïeux, cette royale beauté qui se plaît, comme les lis et comme les cygnes, à l’ombre des châteaux, au fond des parcs solitaires. Grande, mince, élancée, un peu frôle, elle avait la grâce ondoyante et flexible d’une tige en fleur balancée par le vent. Ses cheveux étaient blonds comme l’or des épis, et, par un rare privilège, ses yeux brillaient, sous leurs sourcils bruns, comme deux étoiles d’ébène, sur l’albâtre de son visage, dont ils rehaussaient l’expression sans en altérer l’angélique placidité. La démarche lente, le regard triste et doux, calme, sereine et demi-souriante, un poète aurait pu la prendre pour un de ces beaux anges rêveurs chargés de recueillir et de porter au ciel les soupirs de la terre, ou bien encore pour une de ces blanches apparitions qui glissent sur le bord des lacs, dans la brume argentée des nuits. Ne sachant rien de la vie ni du monde que ce que son père lui en avait appris, elle avait assisté sans joie au brusque changement qui s’était opéré dans son existence. La patrie, pour elle, était le coin de terre où elle était née, où sa mère était morte. La France, qu’elle ne connaissait que par les malheurs de sa famille et par les récits qui s’en faisaient dans l’émigration, ne l’avait jamais attirée ; l’opulence ne lui souriait pas davantage. Loin de puiser, comme Raoul, dans les entretiens du marquis, l’orgueil et l’esprit de sa race, elle en avait retiré de bonne heure l’amour de l’humble condition où le destin l’avait fait naître. Jamais ses rêves ni ses ambitions n’étaient allés au-delà du petit jardin qu’elle cultivait elle-même ; jamais le marquis de La Seiglière n’avait pu réussir à éveiller dans ce jeune sein un désir non plus