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colonnes s’élançant d’un seul jet de la base au sommet de l’édifice, traversent toutes les lignes horizontales, les interrompent et les font oublier.

Le système de proportions de l’architecture à ogive peut donc se résumer en ces mots : déguiser les lignes horizontales, accentuer les lignes perpendiculaires. Mais ce n’est là, dira-t-on, qu’un principe abstrait, une loi générale, dont l’application peut être faite de diverses manières ; un véritable système s’explique plus catégoriquement ; il ne laisse rien à l’arbitraire, il donne des préceptes, ou plutôt des commandemens. C’est ainsi que les ordres, dans l’architecture antique, tracent, jusque dans leurs moindres détails, toutes les proportions de chaque nature d’édifices. Prouvez-nous que l’architecture à ogive obéit à quelque chose d’analogue aux ordres grecs et romains, et nous reconnaîtrons qu’elle repose sur un système, nous ne contesterons plus qu’elle soit une véritable architecture.

Avant de répondre, il faut s’entendre sur l’idée qu’on se fait des ordres antiques. Prétend-on qu’ils consistent dans des prescriptions tellement absolues, dans des combinaisons mathématiques tellement exactes, qu’il en résulte un moyen pour ainsi dire mécanique de construire des édifices toujours parfaitement semblables, à un millimètre près. Dans ce cas, nous confesserons franchement qu’à aucune époque du moyen-âge, même aux XIIIe et XIVe siècles, l’architecture n’est tombée dans cet état d’asservissement ; si, au contraire, comme il est facile de le prouver, la théorie des ordres repose, non sur la reproduction servile de patrons taillés d’avance, mais sur certaines grandes lois d’harmonie générale qui n’excluent pas certaine liberté dans les moyens d’exécution, nous n’hésitons pas à le dire, il existe de semblables lois dans l’architecture à ogive, et ces lois la gouvernent aussi bien que les ordres régissent l’architecture grecque et romaine.

Il ne faut pas croire en effet, comme on le suppose assez généralement, qu’une fois donné le diamètre de la colonne antique, on connaisse exactement sa hauteur, et que cette hauteur détermine invariablement la dimension de toutes les autres parties de la construction. Si cela était vrai, les édifices appartenant à un même ordre seraient tous absolument semblables, leur échelle seule pourrait différer : il y aurait de grands et de petits temples doriques de grands et de petits temples corinthiens ; mais les petits seraient trait pour trait la miniature des grands ; proportion gardée, ils seraient identiques, et, comme