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de tous les philosophes le moins méprisable n’est ni Gassendi ni Descartes, c’est Montaigne.

Désirez-vous qu’on vous montre dans Pascal le principe de tout scepticisme, l’impuissance de la raison humaine ? on n’est embarrassé que du choix des passages.

« Qu’est-ce que la pensée ? Qu’elle est sotte[1] !

« Humiliez-vous, raison impuissante ; taisez-vous, nature imbécile[2]. »

Que signifieraient ces hautaines invectives, si elles ne partaient d’un scepticisme bien arrêté ?

On le conteste pourtant, et voici la spécieuse objection qui nous est faite. Vous vous méprenez, nous dit-on, sur la vraie pensée de Pascal.Nous l’avouons, il est sceptique à l’endroit de la raison ; mais qu’importe s’il reconnaît un autre principe naturel de certitude ? Or ce principe, supérieur à la raison, c’est le sentiment, l’instinct, le cœur. Éclaircissons ce point intéressant.

Pascal a écrit une page remarquable sur les vérités premières que le raisonnement ne peut démontrer, et qui servent de fondement à toute démonstration.

« Nous[3] connaissons la vérité non-seulement par la raison, mais encore par le cœur : c’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, et c’est en vain que le raisonnement qui n’y a point de part essaie de les combattre. Les pyrrhoniens, qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point, quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison : cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l’incertitude de toutes connaissances, comme ils le prétendent ; car la connaissance des premiers principes, comme qu’il y a espace, temps, mouvement, nombre, est aussi, ferme qu’aucune de celles que nos raisonnemens nous donnent, et c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie et qu’elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis, et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit le double de l’autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent, et le tout avec certitude, quoique par différentes

  1. Ibid., p. 170 ; man., p. 229.
  2. Ibid., p. 196 ; man., p. 258.
  3. Ibid., p. 140 ; man., p. 191.