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Pour assagir l’homme, pour le mener à la vertu et à Dieu, Socrate et Marc-Aurèle avaient connu d’autres voies.

Prévenons une dernière objection. On ne manquera pas de dire : le passage qui vient d’être cité n’est qu’un caprice, un accès d’humeur, en quelque sorte une boutade de géométrie ; mais il y a bien d’autres passages contraires à celui-là, et qui attestent que Pascal croyait à la dignité de la raison humaine Je répondrai loyalement, qu’en effet, il y a un peu de tout dans ces notes si diverses qu’on appelle les Pensées : ce qu’il y faut considérer, ce n’est pas tel endroit pris à part et séparé de tout le reste, mais l’ensemble et l’esprit général et dominant. Or, cet esprit-là, nous l’avons fidèlement exprimé. Et n’est-ce pas aussi la condamnation du pyrrhonisme, qu’il a beau surveiller toutes ses démarches, toutes ses paroles, il lui échappe malgré lui de perpétuels démentis à ce doute absolu, insupportable à la nature et incompatible avec tous ses instincts ? Plus d’une fois dans Pascal éclate en traits énergiques le sentiment victorieux de la grandeur de la pensée humaine ; mais bientôt le philosophe impose silence à l’homme, et le système reprend le dessus. Ainsi Pascal répète plusieurs fois que toute notre dignité est dans la pensée voilà la pensée redevenue quelque chose de grand ; mais un moment après, Pascal s’écrie : «  Que la pensée est sotte ! » Ce qui fait de la dignité humaine une sottise, et de toute certitude fondée sur la pensée une chimère. Enfin n’oublions pas que derrière le pyrrhonien est le chrétien dans Pascal. Sa foi, quel que soit son fondement et son caractère, est, après tout, la foi chrétienne : de là des clartés étrangères et quelques rayons échappés de la grace éclairant de loin en loin les ténèbres du pyrrhonisme. Mais dès que la grace se retire, le pyrrhonisme seul demeure.

Au risque de fatiguer le lecteur, je lui veux présenter un dernier fragment, qui achève la démonstration, met à nu la vraie pensée de Pascal, et fait voir de quelle étoffe, pour ainsi dire, est faite sa religion elle-même :

« S’il ne fallait rien faire que pour le certain, on ne devrait rien faire pour la religion, car elle n’est pas certaine. Mais combien de choses fait-on pour l’incertain, les voyages sur mer, les batailles, etc. ? Je dis donc qu’il ne faudrait rien faire du tout, car rien n’est certain, et qu’il y a plus de certitude à la religion que non pas que nous voyions le jour de demain ; car il n’est pas certain que nous voyions demain, mais il est certainement possible que nous ne le voyions pas. On n’en peut pas dire autant de la religion. Il n’est pas certain qu’elle soit, mais qui osera dire qu’il est certainement possible qu’elle ne soit pas ?