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MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE.

pas, s’écria Mme de Vaubert avec fermeté. Vous ne faillirez point du même coup à ce que vous devez à vos aïeux, à ce que vous devez à votre fille, à ce que vous vous devez à vous-même. Vous n’abandonnerez pas lâchement l’héritage de vos ancêtres. Vous resterez, précisément parce qu’il y va de votre honneur. D’ailleurs on ne s’exile plus à notre âge. C’était bon dans la jeunesse, alors que nous avions devant nous l’avenir et un long espoir. Et pourquoi donc partir ? ajoutât-elle d’un air belliqueux. Depuis quand attend-on, pour lever un siège que la place soit près de se rendre ? Depuis quand bat-on en retraite, quand on est sûr de la victoire ? Depuis quand quitte-t-on la partie, lorsqu’on est près de la gagner ? Nous triomphons, ne le sentez vous pas ? Que ce Bernard passe seulement la nuit au château, et demain je réponds du reste.

En cet instant, la baronne, qui se tenait dans l’embrasure d’une fenêtre, aperçut dans la vallée du Clain son fils, qui se dirigeait vers la porte du parc. Laissant le marquis à ses réflexions, elle s’échappa plus légère qu’un faon, arrêta Raoul à la grille, le ramena au castel de Vaubert, et trouva un prétexte plausible pour l’envoyer de là dîner et passer la soirée dans un château voisin.

Cependant Hélène et Bernard allaient à pas lents, la jeune fille suspendue au bras du jeune homme, lui timide et tremblant, elle redoublant de séduction et de grâce. Grâce naïve, séduction facile ! Elle racontait avec une simplicité touchante l’histoire des deux dernières années que le vieux Stamply avait passées sur la terre. Elle disait comment ils en étaient venus à se connaître l’un l’autre et à s’aimer, leurs promenades, leurs excursions, leurs mutuelles confidences, et aussi quelle place avait tenue Bernard dans leurs entretiens. Bernard écoutait en silence et charmé, et, tout en écoutant, il sentait à son bras le corps souple et léger d’Hélène, il regardait ses deux pieds qui Marchaient à l’unisson des siens, il respirait son haleine plus suave que les parfums d’automne, il entendait le frôlement de sa robe plus doux que le bruit du vent dans la feuillée. Déjà il subissait des influences amollissantes ; pareille à ces tiges élancées le long desquelles la foudre s’échappe et s’écoule, Hélène lui dérobait le fluide orageux de sa haine et de sa colère. Vainement essayait-il encore de se raidir et de se débattre ; semblable lui-même à ce chevalier dont on avait dévissé l’armure, il sentait tomber chaque pas quelque débris de ses rancunes et de ses préventions. Tout en causant, ils avaient rabattu sur le château. Le jour baissait ; le soleil à son déclin alongeait démesurément l’ombre des peupliers et des chênes. Arrivé au pied du perron, Bernard se disposait à prendre congé de Mlle de La Seiglière,