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expie par la captivité, la souffrance et la mort les égaremens d’un cœur trop sensible et trop faible. N’avez-vous jamais rencontré des esprits clairvoyans et profonds qui résumaient en ces termes le célèbre poème de Goethe : Faust est un mauvais drôle d’alchimiste sans aucun respect pour les commandemens de Dieu et de l’église, et que le diable un beau matin emporte aux enfers ? Du reste, nous n’avons nulle envie de contredire ce point de vue, il se peut qu’il soit le meilleur, à l’Opéra surtout, où le naïf qui impressionne, le spectacle qui parle aux yeux, l’emporteront toujours naturellement sur la question littéraire et critique. Aussi, quand nous nous inscrivons contre la fable de Marie Stuart, est-ce uniquement parce que cette fable nous semble décousue et mal construite, et nullement parce que nous pensons que la donnée historique aurait dû être envisagée de plus haut. En somme, quel intérêt voulez-vous qu’il résulte de ces scènes qui se succèdent confusément à la hâte sans que rien les motive, quelle émotion de ces dix ou douze tableaux vivans dont se compose la biographie en cinq actes que M. Niedermeyer vient de mettre en musique ? Si je ne craignais d’user ici d’un terme emprunté au vocabulaire des coulisses, je dirais tout uniment que les ficelles manquent. Aussi rien n’est lié : en pareille circonstance, et lorsqu’il s’agissait d’un tel faisceau d’évènemens, c’est à peine si l’énorme magasin de M. Scribe eût suffi ; et l’auteur, homme d’esprit du reste, a cru qu’il parviendrait à se tirer d’affaire par une classification assez lucide sans doute, mais plus ingénieuse que dramatique, des élémens mis en œuvre. Au premier acte, Marie Stuart quitte la France : vous la voyez s’embarquer et partir sans que l’auteur juge à propos de vous dire un seul mot des raisons qui ont amené cet exil. De jeunes gentilshommes qui boivent à la porte d’une taverne en se demandant lequel d’entre eux sera roi d’Ecosse ; une reine, à qui des jeunes filles vêtues de blanc offrent des bouquets, et qui ne se montre que pour disparaître aussitôt : tel est le premier acte, plus froid et plus décoloré qu’il n’est permis même à un prologue. Cette divine élégie des adieux, cette scène, qui pourrait être à la fois si poétique et si touchante, a été complètement manquée, et la faute, hâtons-nous de le dire, n’en saurait être attribuée au musicien, qui a mis une grace exquise dans le motif de sa complainte. Mais cette scène, arrivant ainsi de prime-abord, sans exorde ni préparation aucune, vous laisse impassible et glacé ; il est certains déplacemens auxquels ne résistent pas les meilleures données, et celui-ci était du nombre. Le pathétique ne s’échauffe en nous que par degrés, et jamais, eussiez-vous l’art de Racine dans Bajazet, d’une scène d’adieux vous ne ferez une scène d’exposition. Le second acte se termine par l’assassinat de Rizzio, le troisième par le meurtre de Darnley ; au quatrième acte, nous avons Loch-Leven, et au cinquième, pour en finir, Fotheringay. Je conçois, à tout prendre, qu’au mélodrame un pareil système puisse prévaloir : un personnage disparaît, un autre le remplace, qu’importe si l’action n’en va que mieux son train, et si les décors changent à vue ? A l’Académie royale de musique, les individus