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Comment prétendez-vous que je vous traite ?
En roi.

Avant de faire chanter Marie Stuart, peut-être M. Niedermeyer n’eût-il point mal fait de méditer sur cette admirable réponse de Porus à Alexandre dans la tragédie de Racine. Nous en dirons autant du caractère de la reine Elisabeth, qui vient au cinquième acte préluder par l’aria di bravura obligée au terrible duo de Fotheringay. L’idée seule d’un pareil morceau avait de quoi épouvanter un maître et nous concevons que M. Niedermeyer ait reculé. Il est certaines tâches qui n’appartiennent qu’au génie : traduire par un chef-d’œuvre en musique ce qui déjà était en poésie un chef-d’œuvre ; faire de la scène de Schiller un duo, et se maintenir dans la variation à la hauteur du thème, voilà qui, à mon sens, dépasse les forces d’un musicien de talent, ce musicien eût-il d’ailleurs donné les meilleurs gages de son aptitude et de son habileté. Pour passer maintenant aux rôles d’hommes, le personnage du régent Murray ne vaut ni plus ni moins que tous les tyrans d’opéra italien qu’il vous est arrivé de voir gesticuler sous le casque et l’armure ; ce sera, si vous voulez, l’Ernesto du Pirate, avec cette différence qu’au lieu de crier : Vendetta ! Murray vous chantera sur le même motif :

La couronne est à moi ;
Je marche au but sans effroi.
Ma place est là, je la voi,
Courbez-vous tous, je suis roi.


Ce qui, soit dit en passant, est un peu le refrain de chacun dans cet opéra de Marie Stuart. En effet, à peine le bâtard a-t-il chanté sa gamme, que sa royale sœur vient nous apprendre qu’elle seule est reine ; puis arrive Darnley, puis enfin Elisabeth qui le dit et le prouve. Quant à Bothwell, c’était évidemment sur ce rôle qu’aurait dû se porter la sollicitude du compositeur. Dans l’épisode des amours de Marie et du comte Bothwell (puisqu’il a plu aux auteurs de faire de ce rude guerrier le Tircis de l’ouvrage) reposaient toute l’émotion mélodieuse, tout le pathétique. Aussi faut-il regretter vivement que cette veine si abondante et si généreuse de Bellini dans les Puritains et de M. Donizetti dans la Lucia ne se soit point ouverte à cette occasion pour M. Niedermeyer. Étrange chose, le souvenir de Lucia ne cessait de nous poursuivre toute cette soirée, et Dieu sait cependant si c’est par la couleur locale que le chef-d’œuvre de M. Donizetti se recommande. De la couleur locale, en effet, du caractère pittoresque tel que Weber et les musiciens de l’école créée par lui les comprennent, vous n’en trouverez pas plus trace dans Lucia di Lammermoor que dans Marie Stuart. D’où vient alors que Marie Stuart vous laisse froid et désappointé, tandis que l’ouvrage de M. Donizetti vous fait rêver à je ne sais quels horizons inconnus, à je ne sais quel pays