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visite, comment pourraient-elles approuver les concessions de notre diplomatie dans Les affaires de Taïti et du Maroc. Si des conservateurs ont blâmé dès le début les entreprises de l’Océanie, comment pourraient-ils ne pas juger sévèrement une politique qui a dédaigné leurs avertissemens, et qui a si malheureusement justifié leurs prévisions ? Après le désaveu de M. du Petit-Thouars et le déplorable effet qu’il a produit, comment supportera-t-on le désaveu de M. d’Aubigny et l’indemnité de M. Pritchard ? Si les provocations de la tribune anglaise, si les paroles injurieuses de sir Robert Peel ont jeté dans le parlement français une émotion si vive, que sera-ce quand on jugera les actes dont ces paroles ont été suivies ? Enfin, si l’attitude prise par notre diplomatie dans les affaires du Maroc a irrité les chambres il y a cinq mois, si les communications que M. Guizot a faites à sir Robert Peel leur ont paru peu dignes et dangereuses, que penseront-elles du traité de Tanger et de la précipitation fatale qui a compromis les intérêts de la France ?

Nous le disons sans haine ni passion, sans vues hostiles, sans esprit d’opposition contre les hommes, la situation du ministère n’a peut-être jamais été plus faible qu’aujourd’hui, jamais sa politique n’a soulevé des reproches plus mérités. Est-ce à dire pour cela que la discussion de l’adresse va emporter le ministère ? Dieu nous garde de faire des prédictions. Nous connaissons les ressources du cabinet ; il a déjà montré plus d’une fois ce que peuvent l’éloquence et la dextérité parlementaire, unies à la ferme volonté de conserver le pouvoir. De plus, le ministère connaît sa situation ; il saura probablement garder dans son langage la mesure et la modestie qu’elle commande. Il cache aujourd’hui ses inquiétudes sous une apparence de fierté ; il est plein de confiance en lui-même, plein de mépris pour ses adversaires ; vous croiriez qu’il va rédiger des phrases pompeuses dans le discours du trône, et paraître en conquérant devant les chambres. Attendez-le à l’ouverture de la session, vous verrez qu’il changera d’attitude et de langage. En montrant de l’arrogance, le ministère blesserait le sentiment des chambres ; en montrant de l’humilité, il pourra désarmer des adversaires redoutables, dont l’intention est de combattre sa politique plutôt que ses intérêts, et qui croiraient inutile d’attaquer cette politique dès qu’elle se serait jugée elle-même en réclamant leur indulgence. La modestie devant les chambres a bien souvent réussi au ministère. Nous serions trompés si, dans les circonstances présentes, il renonçait à ce moyen de succès, devenu pour lui d’une nécessité plus impérieuse que jamais.

On a beaucoup parlé ces jours derniers d’un programme d’opposition contre le cabinet, on a parlé d’un plan de campagne concerté entre ses adversaires ; nous n’avons pas besoin de dire au public ce qu’il doit penser de ces révélations. Si des hommes graves, si des personnages politiques jugeaient convenable de s’entendre pour dresser leurs batteries contre le ministère, ils sauraient garder leur secret. Mais à quoi bon dresser des plans de campagne en ce moment ? pourquoi les adversaires du cabinet, qu’ils appartiennent au centre droit, au centre gauche ou à l’opposition constitutionnelle, iraient-ils