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à ce qui semble vrai ; jamais le spectateur ne souffre dans sa dignité d’homme à voir le rapetissement de notre nature. Trop heureux est celui qui peut oublier la réalité mesquine, et s’élancer, à la suite du génie, dans un monde idéal où tout est grandiose. On y tremble sans honte d’une terreur pleine d’enseignemens ; on s’y enivre d’une solennelle tristesse qui agrandit l’ame et l’esprit : quand arrive ce moment de suprême émotion où l’auditeur appartient au poète, intervient, pour expliquer l’idée du poète, un spectateur idéal, le chœur, être multiple, placé au-dessous des acteurs du drame, comme dans le monde la foule au-dessous du héros, et cet interprète sublime de la sagesse vulgaire juge les grandes passions, les grands coups du sort qu’on lui donne eu spectacle, avec cette voix du peuple qui est la voix des dieux.

Personne n’oserait soutenir, j’imagine, qu’un tel ensemble dût manquer d’effet ; mais l’aperçu n’est exact que pour le siècle fécondé par l’influence de Périclès. « Aux époques de décadence, a dit Winkelman, à propos des arts pittoresques, l’expression fut employée pour suppléer en quelque sorte à la beauté. » Un symptôme de cette nature se manifesta en Grèce peu après la mort des grands poètes dont les chefs-d’œuvre nous ont été conservés. On commença a chercher l’effet dramatique, moins dans un reflet idéal de la vérité que dans une exagération matérielles des choses vraies. On essaya les coups de théâtre, l’imprévu, l’horrible. La poétique d’Aristote témoigne de cette dégradation. Les chœurs tragiques perdirent leur signification religieuse, à tel point qu’ils furent souvent remplacés par des intermèdes lyriques, sans rapport avec le sujet de la pièce. La comédie privée aussi de ses chœurs, cessa d’être une appréciation ironique et bouffonne des intérêts les plus sérieux de la société : elle devint purement et simplement anecdotique, et s’en tint à esquisser la superficie des mœurs. Ces changemens réagirent assurément sur l’art de l’acteur. La mise en scène, les usages tragiques se perpétuèrent ; mais l’idéal des pieux interprètes d’Eschyle et de Sophocle s’affaiblit à la longue, et pour les comédiens mercenaires de la décadence, il ne fut plus qu’une tradition de coulisses, si j’ose m’exprimer ainsi. Or, rien n’est plus froid dans les arts, rien n’est plus ennuyeux qu’un idéal de convention, devenu, pour ceux qui le traduisent, une routine d’école : mieux vaut, je l’avoue, la plus vulgaire réalité. Je conjecture que les Grecs continuèrent à vanter leur ancienne tragédie, qui était un de leurs titres de noblesse, mais qu’ils coururent en foule à ces comédies dont les acteurs savaient faire une image amusante de la vie réelle. Je