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ou prolongés. En vain le tragédien Esopus et le comédien Roscius, artistes de l’ancienne école, proclament-ils que l’union du beau au vrai est le point culminant de l’art, caput artis ; en vain essaient-ils la protestation plus efficace de l’exemple en ordonnant que les mouvemens fussent ralentis quand ils jouaient, afin qu’ils pussent développer l’ampleur et la sérénité puissante de leur exécution : on admire en eux des talens exceptionnels on les comble d’honneur et de richesses ; mais l’engouement de la foule n’encourage pas moins les innovations de mauvais goût.

Les historiens de la scène latine ont attribué la chute des genres littéraires à l’immensité des amphithéâtres, qui ne permettait plus, aux acteurs de se faire entendre, et surtout à la frayeur des poètes, responsables des allusions malignes saisies par l’auditoire. Le discrédit de la muse tragique s’explique d’une manière plus simple par les changemens que je viens de signaler dans le système de l’exécution. A mesure que les acteurs tendaient à remplacer la beauté par la vivacité, il devenait plus embarrassant pour eux de s’assujétir à un rhythme impérieux. L’accélération progressive des mouvemens dut la fin rendre à peu près impossible cette double traduction de la poésie tragique par la mélopée apprise et par le geste cadencé : assurément l’ancienne hypocritique avait cessé d’être en harmonie avec les exigences de la mode. Alors arrivent des régions orientales de l’empire Bathylle et Pylade, artistes vifs, hardis, gracieux, bondissans. Dégagés du lourd attirail tragique, ils se vouent à un seul genre d’expression, le geste, qu’ils poussent à un degré de subtilité et d’entrain dont rien jusqu’alors n’a donné l’idée. Tels furent, à leur exemple, les pantomimes latins. Le délire, qu’ils excitèrent se répandit dans tout l’empire comme une incurable contagion. Sans cesse proscrits, toujours rappelés, on les maudissait et on ne pouvait se passer d’eux.

Si la pantomime, à son origine, fut attrayante, digne, à certains égards, de l’admiration des esprits, les plus distingués, elle ne tarda pas à subir la loi fatale. La mimique savante, la peinture par les gestes expressifs, fut à son tour effacée par un art plus sensuel, par la danse pétulante et lascive, exécutée surtout par des femmes. Si j’avais à fournir une preuve de la décadence du théâtre pendant cette agonie de plus d’un siècle qui précéda la ruine de l’empire, je la trouverais dans la condition sociale des comédiens. Leur profession était devenue héréditaire ! L’hérédité, que dis-je ? l’obligation légale, sous peines sévères, d’exercer un art qui exige une aptitude des plus rares, une vocation impérieuse, quel renversement de toutes les idées ! quel symptôme