Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/142

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Racan et Gombaud furent les premiers qui acceptèrent la responsabilité de leurs œuvres. Le théâtre en était au mode de publicité de nos spectacles forains. Après avoir battu la caisse dès le matin à la porte de l’hôtel et dans les rues voisines, on laissait annoncer par le stentor de la troupe que dans l’après-midi, entre deux et cinq heures, on représenterait une pièce sur un sujet très intéressant. La foule ne tardait pas à se précipiter dans une grande salle carrée, garnie de deux ou trois rangs de loges en charpente, en regard d’une estrade disposée en forme de scène. Il en coûtait dix sous à l’honnête bourgeoisie pour prendre place dans les galeries. Le parterre, où l’on entrait pour cinq sous, était le rendez-vous des laquais, des fainéans, des vauriens cohue hargneuse et bruyante au milieu de laquelle il n’était pas prudent de s’aventurer.

Segrais, ou plutôt l’auteur du Ségraisiana, a dit, en parlant des ouvrages composés dans le goût de Hardy : « Ces vieilles pièces étaient misérables, mais les comédiens excellens les faisaient valoir par la représentation. » Je ne puis accepter ce jugement. Les comédiens en renom, sous Henri IV et Louis XIII, n’avaient sans doute que ces qualités dangereuses qui impressionnent la foule, l’emphase et l’énergie criarde dans le sérieux, et dans le genre bouffon un entrain de mauvais goût. En considérant leurs habitudes, leur clientelle, leur répertoire, on sent qu’ils durent rester bien loin de l’idée que nous nous faisons aujourd’hui d’un artiste véritable. Les mêmes acteurs qui avaient figuré les personnages héroïques dans les tragédies reparaissaient, sous des déguisemens grotesques, dans des parades improvisées à l’imitation des bouffonneries italiennes. Aussi avaient-ils toujours deux noms, l’un pour la tragédie, l’autre pour la farce. Henri Legrand, qui se faisait appeler Belleville quand il se présentait comme tragédien, devenait dans les parades ce joyeux Turlupin auquel il a donné une célébrité proverbiale. Le nom comique caractérisait un type de convention que l’acteur reproduisait invariablement dans chaque comédie où ce même nom restait toujours celui de son rôle. Ainsi. Duparc, dont le sobriquet était Gros-Réné, joua les rôles de Gros-Réné dans le Dépit amoureux, dans Sganarelle et d’autres pièces encore. Certains acteurs s’enfarinaient la figure : la plupart jouaient masqués, à l’italienne ; Molière lui-même se masqua dans les premiers temps pour jouer les Mascarille. Beaucoup de rôles de femmes étaient rendus par des hommes avec la voix de faucet. La difficulté de trouver des actrices qui consentissent alors à représenter les femmes vieilles et ridicules perpétua cet usage jusqu’en 1704, époque de la mort de Beauval. Le