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dignité aisée au parfait gentilhomme. Corneille d’ailleurs, modeste et naïf, s’inquiétait peu de faire valoir ses propres ouvrages. Il balbutiait en déchiffrant avec peine sa propre écriture, et appuyait lourdement sur les beaux passages qu’il savait de mémoire. Lui-même confessait ingénument sa maladresse : « L’on ne peut, a-t-il dit, m’écouter sans ennui - que quand je me produis par la bouche d’autrui. » Au contraire, Racine et Molière s’appliquèrent, autant par goût que par calcul, à pénétrer les secrets de la belle déclamation. L’un et l’autre avaient même la prétention, plus nuisible qu’utile, à mon sens, de noter musicalement certaines intonations qu’ils jugeaient heureuses. Les conseils de Molière avaient tant d’autorité, qu’on peut dire qu’il a fait école. Séduit, dans sa jeunesse, par la charge italienne, il ne cessa de se rapprocher de la vérité dans ses ouvrages, dans les divers rôles qu’il créa, dans les principes de déclamation qu’il essaya de faire prévaloir. N’oublions pas Lulli, qui, suivant son principal biographe, « dressait lui-même ses acteurs et ses actrices, leur montrait à entrer, à marcher, à se donner de la grace, du geste et de l’action. » Le naturel et l’élégance de ce grand musicien exigeaient des qualités vocales qui ont dû vulgariser le sentiment du beau langage, et je ne doute pas que son influence n’ait été très utile.

Retrouver la déclamation théâtrale des anciens, cette merveille perdue, tel était, sous Louis XIV, le rêve de tous les auteurs, de tous les acteurs tragiques. Dans la persuasion que le récit des Grecs était une espèce de chant, on trouvait beau de psalmodier les vers en cadençant la mesure, en accusant l’intention par des tournures mélodiques, en donnant à la voix une sonorité musicale. Il est facile de reconnaître, à la pompe de leurs tirades, que les poètes du temps acceptaient ce genre de déclamation. Seulement, à l’opposé du récitatif de l’opéra, où l’émotion est traduite par des chants d’un caractère plus prononcé, le récitatif tragique était souvent ramené par les acteurs intelligens à la vérité du langage passionné. C’était le secret que la tendre Champmeslé avait appris de Racine. Elle n’a garde de chanter comme les autres ; mais, est-il dit dans une critique datée de 1681, « elle sait conduire sa voix avec beaucoup d’art, et elle y donne à propos des inflexions si naturelles, qu’il semble qu’elle ait véritablement dans le cœur une passion qui n’est que dans sa bouche. » Pour le vulgaire des acteurs, le beau du métier fut une déclamation boursouflée, emphatique, toujours rhythmée de même manière, toujours modulée dans les mêmes tons. Un débit accéléré jusqu’à la fin du couplet, un crescendo de gestes et de cris, conduisaient cette dernière