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présenta encore un riche ensemble dans chacun des trois genres qui constituent son domaine. Mlle Raucourt, dont la célébrité datait de ses débuts en 1772, rapportait dans la tragédie les qualités qui remuent la foule, l’éclat et la véhémence. Trente ans d’études et d’exercices avaient fait de Monvel un tragédien accompli : on lui savait gré de racheter la pauvreté de ses moyens physiques par la sincérité de son émotion et la profondeur de son intelligence. Une figure détachée d’un tableau de David, un peu raide dans sa majesté, un peu blafarde dans son héroïsme, donnerait une idée de Saint-Prix. Quant à Talma, il devait déjà à son exaltation républicaine, puis à la bienveillance du chef de l’empire, une renommée qui aidait à sa réussite. Il était loin à cette époque, de cette élévation qu’il devait atteindre. Flottant entre deux manières extrêmes pour s’en faire un style qui lui fut propre, il était souvent lourd et lamentable quand il visait au grandiose, sec, saccadé, fantasque, inharmonieux, lorsqu’il essayait le réel et le pittoresque. Les juges sévères qui le condamnanaient à huis clos ne lui faisaient grace que pour quelques créations, comme Oreste, Othello, Hamlet, où il était servi par l’ardeur sombre et concentrée de son tempérament.

Le genre comique retrouva Molé, Dugazou, Dazincourt, Larochelle et Mlle Contat. D’autres artistes, effacés dans l’ancienne société ou admis depuis peu dans la société nouvelle, établirent leur réputation sur un mérite digne de leurs devanciers. Laissant à des acteurs élégans et distingués, comme M. Armand, les jeunes rôles de son emploi, Fleury exprimait à ravir le persiflage du petit maître qui légitime sa fatuité à force d’esprit. On ne tarda pas à remarquer l’admirable vérité dans les rôles à manteau de Grandmesnil, la rondeur, le naturel entraînant de Michot, la fine bêtise de Baptiste Cadet, qui jouait les nais mis à la mode par Volange, avec une tenue digne du Théâtre-Français. Les grands rôles que ne réclamait pas Mlle Contat étaient tenus avec distinction par Mlle Mézerai : il ne restait à Mlle Mars que l’ingénuité gracieuse ; mais déjà elle y déployait une perfection irrésistible. Le drame touchant, où Monvel excellait, avait pour ses principaux interprètes Baptiste aîné, dont on estimait la minutieuse exactitude ; Saint-Phal, copiste de Molé dans les parties dramatiques de son talent, et surtout Mme Talma (Mlle Vanhove), dont la sensibilité vraie était soutenue par un organe enchanteur.

Depuis les premières années de la restauration jusqu’à nos jours, de grands talens brillèrent sur nos scènes diverses. C’est pendant cette période que Talma entra en possession des qualités qui l’ont rendu