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Mais voyez un peu comme on se trompe, et comme bien souvent nos plus flatteuses conjonctures portent à faux ! Ces soins minutieux, fort louables d’ailleurs, dans la mise en scène d’une œuvre conçue selon les conditions du genre qu’on exploite aujourd’hui à l’Opéra, devaient ici parfaitement manquer leur effet ; et ces pompeux décors, cette couleur locale, ces costumes de mandarin avec leur raideur empesée, tout ce solennel fatras, cet attirail gourmé se rencontrant avec le sans-gêne de votre musique et le train inégal dont elle va, devaient produire à la longue les plus singulières, tranchons le mot, les plus dérisoires discordances.

De cet honnête libretto, sans prétention comme sans malice, on a voulu faire absolument une comédie héroïque à la manière des poèmes de M. Scribe. À force de manipulations et de ravaudages, à force de lambeaux pris à Shakespeare et grotesquement entrelardés dans le récitatif, on s’est imaginé qu’on allait donner une raison d’être aux scènes incohérentes de la pièce italienne qui se joue, comme tous les libretti du monde, on ne sait où, en plein air, dans le vestibule d’un palais, dans une alcôve. Je vous donne à penser quelle confusion devait résulter d’un pareil amalgame. On prétend que La Fontaine, étant assis un jour au parterre du théâtre, oublia que la pièce qu’on représentait était de lui, et se mit à déblatérer sans façon contre l’auteur. Je gage qu’ici, cher maître, la même histoire vous fût arrivée. Comment, en effet, reconnaître votre musique à ce point défigurée, je ne dis pas seulement par l’exécution, qui cependant n’y va pas de main morte, mais encore par les accessoires compliqués d’un maladroit système de mise en scène qu’elle ne comportera jamais ? À vrai dire, cette représentation de votre chef-d’œuvre d’autrefois sur le théâtre de l’Opéra d’aujourd’hui me paraît une mystification dans laquelle chacun devait trouver son compte. Et d’abord, à commencer par le commencement, que vous semble de la situation de M. Habeneck et de son orchestre, réduits à jouer avec tout le sérieux imaginable, et comme ils feraient pour une symphonie de Beethoven ou l’ouverture, de Guillaume Tell l’espèce d’improvisation qu’il vous a plu jadis de mettre en tête de cette partition d’Otello, laquelle improvisation, soit dit entre nous, est bien l’une des plus médiocres fantaisies qui vous aient jamais passé par la cervelle, et pourrait tout aussi bien servir d’introduction au Noces de Gamache, par exemple, qu’à la terrible complainte des amours du More de Venise. Mais attention ! la toile se lève. Ici commence le caractère, et du premier coup d’œil le système