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est de ceux qui pensent que l’ancien parti anglais et l’ancien parti russe comptent dans leurs rangs d’excellens citoyens tout prêts à se rallier au parti national ; il est de ceux qui pensent qu’une telle fusion est désirable pour la France comme pour la Grèce, et qu’on ne doit pas s’en laisser détourner par de petites jalousies et par de vaines susceptibilités. Or, en arrivant au ministère, M. Maurocordato et ses collègues protestaient fortement que tel était leur programme, et que telle serait leur conduite. Tout en regrettant l’exclusion ou l’abstention de M. Coletti, M. Piscatory promit donc à M. Maurocorato son appui sincère et persévérant. M. Coletti, de son côté, annonça qu’il voterait pour M. Maurocordato, et qu’il engagerait ses amis à faire comme lui.

C’est à ce moment (à la fin d’avril) que j’arrivais à Athènes. Bien qu’établi sur une base trop étroite, le ministère paraissait alors solide, et tout le monde, amis comme ennemis, lui promettait une assez longue durée. Un mois après, quand je suis parti, il n’est personne qui ne prévît sa chute prochaine. Deux mois plus tard enfin, il est tombé devant la réprobation générale, et c’est tout au plus si sa retraite le sauvera d’un acte d’accusation. D’où vient un changement si complet et si prompt ?

Il est juste de reconnaître que le premier ministère constitutionnel, quel qu’il fût, devait rencontrer d’assez grandes difficultés. L’administration, les finances, l’armée, tout en Grèce est à refaire. La propriété elle-même dans ce pays n’a rien de certain, et l’agriculture n’est guère plus avancée que l’industrie. Il résulte de là, chez la plupart des Grecs, un amour démesuré des fonctions publiques, bien que ces fonctions soient peu rétribuées. A peine installés, les ministres nouveaux devaient être assailli de prétentions auxquelles ils ne pouvaient donner satisfaction. J’ai vu, par exemple, entre les mains d’un ministre, une liste numérotée de quarante places qu’un seul individu sollicitait presque à titre de droit pour ses amis, pour ses parens, pour lui-même. Il était certes difficile de contenter cet individu et de l’empêcher d’aller grossir les rangs de l’opposition.

Les élections d’ailleurs étaient à la veille de se faire en vertu d’une loi qui établit en quelque sorte le suffrage universel. Il fallait s’attendre que les partis vaincus dans le congrès, le parti russe notamment et le parti démocratique, chercheraient à prendre là une éclatante revanche. Il fallait s’attendre aussi que, dans certaines provinces plus turbulentes que les autres, au milieu d’une population toujours armée, cette grande crise ne se passerait pas sans quelques désordres fâcheux.