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Turquie, et parmi ces réformes il en est de salutaires et d’heureuses. Aussi d’un bout à l’autre de l’empire les ordres du sultan commencent à être obéis avec promptitude et régularité. Les pachas, jadis plus puissans que le divan lui-même, n’osent plus guère opposer leur volonté à la sienne et régner pour leur propre compte. Certaines aristocraties locales, pires encore que les pachas, ont été abattues et soumises ; aux milices fanatiques et turbulentes que Mahmoud a écrasées succède une armée bien disciplinée, bien tenue, bien traitée. La suprématie des oulémas elle-même a notablement baissé ; et des habitudes féroces ont cessé. Enfin, grace à l’intervention de la France et de l’Angleterre, grace aussi, il est juste de le reconnaître, aux bons sentimens du sultan actuel, la condition des chrétiens devient chaque jour plus tolérable. Malgré tout cela, le vice fondamental subsiste toujours, et ce vice, encore une fois, il est impossible de le détruire.

Aux yeux de ceux qui aiment l’empire ottoman pour lui-même, il reste d’ailleurs à décider si les réformes qu’il a subies lui ont été, en définitive, favorables ou nuisibles. Il reste à décider si, toutes bonnes qu’elles sont absolument, ces réformes n’ont pas anéanti la seule force qui le soutint. Hormis, dans quelques provinces reculées, et peut-être dans quelques quartiers Constantinople, le fanatisme religieux n’existe plus, en Turquie. Il faut s’en réjouir dans l’intérêt de l’humanité et de la civilisation. Doit-on s’en réjouir également dans l’intérêt de la Turquie ? C’est par le fanatisme religieux que les Turcs en ont vécu et grandi. Quand on leur ôte ce puissant mobile, sans leur en donner un autre, n’est-il pas à craindre que toute énergie, que toute foi ne s’éteignent en eux ? S’il en était ainsi, les réformes dont il s’agit auraient été tout juste propres à mécontenter les Turcs sans satisfaire les rayahs, énerver la race victorieuse, sans lui donner le concours de la race vaincue. En d’autres termes, le principe religieux en Turquie resteraient assez fort pour mettre obstacle à la régénération de l’empire ; il ne le serait plus assez pour inspirer aux populations ces résolutions hardies qui triomphent de toutes les difficultés : juste milieu misérable qui pourrait se traîner ainsi quelques années encore, mais que la force des choses condamnerait irrévocablement à périr.

Le bon sens d’ailleurs suffit pour apprendre que toutes les réformes se tiennent et s’enchaînent l’une à l’autre. Quand à des pachas et à des spahis qui pillent le peuple on veut substituer une armée, une police, une administration régulières, il faut payer cette administration, cette armée, cette police. Or, dans l’état actuel, les dépenses publiques en Turquie montent à 180,000,000 fr., et les recettes