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Il voudrait aussi amener les littérateurs et les poètes en réputation à lui prêter le concours de leur talent. Déjà sir Walter Scott s’était rendu à son appel, mais cette adjonction brillante ne lui suffisait point : « Quand viendront. Wordsworth et Southey ? Demande-t-il dans la lettre dont je viens de parler. N’avez-vous pas vu Campbell ? Que fait-il ? »

Jeffrey cherchait ainsi, sans s’en douter, à se créer des obstacles bien plus grands que ceux qu’il avait rencontrés jusqu’alors ; il ignorait encore que les critiques et les poètes, que le juge et le patient (ce dernier mot soit. dit sans antiphrase), ne sauraient s’accorder ensemble, et, qu’entre eux, tôt ou tard, la rupture est inévitable. De son côté, Walter Scott, trompé par son amitié pour Jeffrey, s’imagina de bonne foi qu’il vivrait, toujours en bonne intelligence avec une Revue que sa propre fécondité forçait à parler, souvent de lui, ou peut-être crut-il désarmer cette terrible ennemie en vivant côte à côte avec elle. Son illusion à cet égard alla si loin, qu’il engageait encore Southey, un an avant la création du Quarterly Review, à imiter son exemple. « Comme vous faites parfois des articles de Revue, écrivait le célèbre romancier au futur poète-lauréat en 1807, me permettrez-vous de vous soumettre une pensée qui m’est venue ? Vous en ferez, du reste, ce que vous voudrez. Je suis persuadé que Jeffrey s’estimerait à la fois heureux et honoré, si vous lui envoyiez des travaux sur des livres de votre choix, où vous exprimeriez librement, bien entendu, vos opinions personnelles. Chaque article de la Revue est payé dix guinées, et ce prix sera augmenté bientôt, etc. » Southey déclina l’offre de sir Walter Scott, s’excusant sur ce que ses opinions en politique différaient trop de celles de Jeffrey ; mais il avait sur le cœur, la critique de Thalaba, et, barde anglais aussi rancunier que Byron, il ne pardonnait point au reviewer écossais d’avoir maltraité ses vers.

Depuis que les œuvres des poètes sont justiciables de la presse, la politique est le prétexte ordinaire des ressentimens qu’ils nourrissent contre elle. On fait bon marché de ses écrits ; on se soucie bien de ce qu’un critique peut dire : qu’il blâme à son aise, puisque tel est son droit ; mais l’on est citoyen avant d’être auteur, et si l’on se brouille avec un journal qui pense mal de vous, c’est tout simplement parce qu’il a choqué l’opinion de votre parti. Le torysme ne l’avait pas empêché de s’associer aux premiers travaux des fondateurs d’une Revue consacrée à la propagation des principes whigs ; mais quand il eut compris que cette familiarité n’apaisait pas leur justice, il s’avisa de penser qu’un écrivain loyaliste ne pouvait frayer plus long-temps