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non plus la sottise et l’erreur ne sauraient germer. Être utile en combattant l’erreur, voilà le but qu’il s’est proposé sans cesse, et il peut avoir l’orgueil d’y être parvenu plus d’une fois. N’est-il pas admirable qu’un homme d’esprit ait compris l’emploi sérieux qu’on peut faire d’un mérite qui paraît propre seulement à distraire et à divertir, et que, doué comme il l’était, au lieu de se laisser prendre au faux éclat des paradoxes, il ait regardé la raison et la vérité comme l’accompagnement indispensable de l’esprit, il se soit donné ce précepte pour guide, que l’esprit doit service à quelque chose ?

Voilà ce qui fait que Sydney Smith a pu rendre des services éminens au parti dont la Revue d’Édimbourg développait les nobles principes. Au lieu de se faire l’écho de ses propres caprices et de n’être qu’un de ces railleurs sans consistance et sans dignité qu’on n’écoute plus dès qu’ils cessent d’être plaisans, il a su élever l’a satire politique au-dessus des régions inférieures de la polémique et de l’invective, en lui donnant pour mission d’atteindre le mal par le ridicule, et comme on l’a dit pour la comédie de mœurs, de corriger l’erreur en riant. Cette comparaison peut sembler singulière, mais je ne l’aventure point. J’ai considéré l’ensemble des écrits de M. Sydney Smith, j’ai rapproché les différens travaux auxquels il s’est dévoué pendant le cours de son honorable carrière, ses plaidoyers en faveur de l’Irlande et pour l’émancipation catholique, ses réflexions sur les méthodistes, sur la réforme des lois pénales, etc., et de cet examen attentif il m’est resté cette impression qu’en effet ce mordant écrivain n’a été inspiré que par une pensée, de détruire l’erreur en politique dans toutes ses personnifications, sous tous ses déguisemens, en tant quelle lui a semblé être un obstacle aux progrès de la civilisation et à la prospérité de sa patrie. Et, pour la combattre avec plus de succès, il a surtout attaqué sa forme la plus vulnérable, la sottise. Boileau dit quelque part que ce qui détermina sa vocation pour la satire, ce fut la haine d’un sot livre. M. Sydney Smith dut éprouver de bonne heure une antipathie pareille, mais plus étendue et plus féconde, la haine de la sottise politique. On se rappelle le mot de M. Royer-Collard sur un orateur qui venait de descendre de la tribune. « C’est un sot, s’était écrié quelqu’un à côté de lui. — Non, c’est le sot, » répliqua finement le spirituel député. C’est précisément le sot dans ses rapports avec la politique qui a été l’objet des constantes attaques de M. Sydney Smith. Tout paradoxe à part, il faut bien en convenir, la sottise est en quelque sorte une puissance dans les pays libres. Les passions qui ont remué les multitudes les idées qui les ont conduites vers un but, ne disparaissent