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de la tête aux pieds, qui portent de longues cannes et des chapeaux de forme hybride, pleins d’emphase dans leurs paroles et de pédanterie dans leur maintien, grands citateurs de Platon, s’efforçant de paraître vieux, affectant de mépriser les femmes et tous les agrémens de la vie, fiers ennemis du bon sens, toujours prêts à injurier les vivans et ne faisant grace de leur blâme qu’aux morts, pourvu qu’un bon demi-siècle est passé sur leur tombe. » Un M. Bowles avait publié des réflexions sur la paix d’Amiens, où il traitait assez mal la France et le premier consul ; le critique, opposant l’absurde à l’absurde, d’après le procédé de Voltaire, rapprochait deux passages de ces réflexions, et s’écriait avec une feinte douleur : « En effet, qui peut répondre du salut de la constitution, quand on considère les progrès du jacobinisme et la transparence des jupes de nos femmes ! »

Ces attaques, spirituelles jusqu’à la cruauté, firent beaucoup d’ennemis à la Revue d’Edimbourg,et l’on a vu qu’Horner lui-même s’en était effarouché. Il est certain que, si M Sydney Smith s’était borné à ce genre d’écrits, ses petits articles vifs et mordans, jetés au milieu des pages où se déployaient les manœuvres plus mesurés de l’analyse, auraient fini par faire disparaître avec le reste de la publication. Il n’aurait pu long-temps continuer une polémique aussi personnelle, quelque excusable qu’elle fût, sans s’écarter de la ligne commune et nuire à la considération de ses amis. Heureusement, le talent de M. Sydney Smith s’éleva bientôt avec les sujets qu’il sut choisir. Il ne devait jamais être un reviewer comme on l’entend aujourd’hui en Angleterre, depuis que Jeffrey, Mackintosh, Brougham en ont réalisé le type, qualités qui consistent à resserrer la substance des idées répandues dans un livre, à les élaborer de nouveau, et à faire de nerveux résumés avec de faibles ouvrages. Il laissa toujours un peu dériver sa plume au gré de sa fantaisie ; mais, en s’attachant moins aux choses de l’instant, en se passionnant davantage pour les questions sociales, il évita bientôt de tomber dans les défauts du satirist.

Une simple phrase suffira pour justifier l’estime singulière que doivent inspirer, selon moi, le caractère de M. Sydney Smith et le noble usage qu’il a su faire de son talent pour la satire politique : pendant plus de vingt ans, la cause de l’Irlande et du papisme a trouvé en lui un ardent et infatigable défenseur. Prêtre anglican, fermement attaché, quoi qu’en ait pu dire, aux croyances protestantes, il a lutté de tout son pouvoir contre les préventions qui fermaient toutes les carrières publiques à ses compatriotes de la communion romaine, et l’on peut dire que ses généreux efforts n’ont pas été sans influence