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où ils appliquent avec supériorité le genre d’idéalisation scénique en rapport avec nos chefs-d’œuvre littéraires. C’est, je ne puis trop le répéter, une manière d’anoblir et d’agrandir la nature qui doit s’arrêter précisément au point où commencerait l’invraisemblance ; c’est le secret d’imprimer dans l’ame des spectateurs le sentiment ou la pensée du poète par une indéfinissable magie de geste et de parole. A notre école nationale, on oppose cette théorie d’origine étrangère qui prétend faire de la scène le miroir de la réalité. Soutenue avec la verve du prosélytisme, elle fait sur les esprits une impression vive, parce qu’elle présente un des aspects de la vérité, aspect nouveau pour notre public. Au lieu de reconnaître mutuellement leur légitimité, les écoles se nient et se combattent. Après la bruyante mêlée commence cette crise d’épuisement dans laquelle nous sommes. Les rangs se trouvent confondus, les doctrines se sont altérées en se mélangeant. Ceux qui prétendaient aborder la réalité par de franches peintures sont sous le poids d’une sorte de défaveur. L’instant serait favorable à l’ancienne école pour réagir mais elle en est au lendemain d’une déroute, amoindrie, désorganisée, obligée de concentrer presque toutes ses espérances sur un talent dont le développement et le succès tiennent du phénomène. En somme, les seuls ouvrages qu’il soit possible de représenter aujourd’hui avec un ensemble pleinement satisfaisant, même à notre premier théâtre, sont ces compositions de demi-caractère et d’un genre indécis qui n’exigent pas impérieusement l’élévation et la pureté du style.

Dans la confusion présente, le point capital pour l’acteur est de se bien pénétrer de la diversité des styles qu’exigent les ouvrages admis sur notre scène, de diversifier en conséquence le mécanisme de son exécution, afin de pouvoir nuancer franchement chacun de ses rôles selon son véritable caractère. Il importe surtout d’assurer aux chefs-d’œuvre du répertoire national une interprétation qui en conserve le prestige. C’est dans ce but que j’ai essayé de rappeler comment les grands maîtres comprenaient la poétique traduction des réalités de la vie, quel rude apprentissage les initiait au sentiment de l’idéal, quel admirable enthousiasme les soutenait dans leur carrière. .

Au siècle dernier, tous les poètes qui travaillaient pour la Comédie française, on en comptait trente à quarante, se faisaient un devoir autant qu’un plaisir de diriger ceux qui se vouaient au théâtre ; quelques-uns même, comme Laharpe, Collé, Colardeau, étaient capables, assure-t-on, d’appuyer leurs conseils par des exemples. Pour Voltaire On sait qu’il était de feu sur ce point. Quels sont ceux de nos auteurs