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attribuait l’amour de l’art et la sûreté du goût. « Lorsque je jouais, dit la fière Clairon, je cherchais à découvrir dans la salle le connaisseur qui pouvait y être, et je jouais pour lui ; si je n’en apercevais pas, je jouais pour moi. » Ceux, à qui les acteurs déféraient cette magistrature littéraire, la prenaient au sérieux et s’en faisaient en quelque sorte un état. Leur approbation ne s’exhalait pas en hyperboles et en métaphores, comme celle des mélodrames de notre temps ; c’était par une attention soutenue, par la fréquence de leurs avis qu’ils prouvaient à l’acteur le cas qu’ils faisaient de son talent et de sa personne. La philosophie du langage, la littérature, l’histoire, les beaux-arts, la science des mœurs et de la nature, telles étaient les sources où ils puisaient sans cesse pour contribuer, par d’utiles conseils, à la composition des grands rôles ; ainsi étaient-ils forcés de se tenir dans ce courant d’idées où se plaisent les intelligences supérieures, et, par un rare privilège, le plaisir se réalisait pour eux en solide instruction. Mis dans la confidence de tous les travaux du théâtre, ils entraient, pour ainsi dire, en collaboration discrète avec les artistes, et parfois il leur arrivait de participer aux émotions du triomphe, quand le trait qu’ils avaient inspiré enlevait les applaudissemens de l’auditoire.

Si les esprits distingués de notre temps pouvaient bien comprendre les fines jouissances de ceux qu’on appelait autrefois les amateurs de la Comédie, s’ils entreprenaient de faire leur propre éducation théâtrale en dirigeant celle de nos jeunes comédiens, le bel art dont l’affaiblissement devient un sujet d’inquiétude ne tarderait pas à reprendre son ancien éclat.


A. COCHUT.