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la cupidité par l’iode, de la haine par la belladone, et de l’erreur par le kina ? Tous les phénomènes physiques sont comparables. Dès qu’il n’existe que le physique au monde, les effets produits par une parole éloquente, par une boisson excitante, par une réflexion profonde, par un révulsif puissant, sont également des modifications d’organes. En opposant les modifications les unes aux autres, pourquoi n’aurait-on pas l’espoir de détourner ou suspendre, d’exciter ou adoucir celles qui paraissent morales ! Avec un peu d’expérience, on convertirait bientôt tout l’art de se conduire ou de conduire les autres en une vraie thérapeutique. Ce serait bien là appliquer, comme Cabanis le recommande sans cesse, la physiologie à l’art de gouverner. Que l’on ne dise point que cette hypothèse en effet se réalise, et que plus d’une fois un médicament donné à propos a suspendu les effets désastreux d’une affection morale : les effets, oui, mais non pas l’affection. Qu’une douleur subite et violente causée par une nouvelle affreuse détermine une apoplexie, on sait bien qu’une saignée pourra dissiper le mal dont l’origine est une cause morale ; mais cela n’est pas assez : dans l’hypothèse du matérialisme il faut traiter par des agens physiques cette altération physique elle-même qu’on appelle douleur morale. Autrement on reste, contre le vœu de la science, sous l’empire d’une vieille erreur ; on persiste à croire encore au moral. Alors, qu’est-ce que le moral ? En quoi ces phénomènes diffèrent-ils essentiellement, pour la physiologie ou la médecine, de la digestion ou de la respiration, de la fièvre ou de la paralysie ? Une définition conséquente, rationnelle, scientifique, du moral, est impossible au matérialisme.

On peut remarquer que ceux des médecins qui sont matérialistes en morale cessent ordinairement de l’être en médecine ; cela était vrai, surtout du temps de Cabanis. Si le moral n’est que du physique, c’est-à-dire si les affections et les idé6es sont matérielles, la conséquence est de les traiter, comme les maladies, par des médicamens, et de s’en prendre aux organes pour redresser l’esprit ou corriger le cœur. A cela, bien des médecins répondraient, et Cabanis peut-être aurait répondu : « Ce sont des maladies de la sensibilité ; la sensibilité peut être malade comme les forces digestives, respiratoires, vitales, comme l’élément même de la vie, et l’action directe des médicamens sur de tels principes est rarement possible, jamais appréciable. La pathologie est toute remplie de faits invisibles. » D’où il suit qu’après avoir banni de la science les abstractions ame ou esprit, on raisonne et même on prétend agir sur les abstractions sensibilité, vitalité, innervation, exhalation, abstractions qu’on ne résout pas en objets matériels divers de