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genre de preuve, c’est-à-dire sur l’impossibilité qu’il y ait échange d’action entre deux natures essentiellement différentes comme l’esprit et le corps, et sur le principe que le semblable seul engendre le semblable. Mais, cet ordre d’idées, Cabanis ne l’a point abordé, et ce principe même, s’il est vrai, réfute la doctrine des matérialistes, comme la doctrine opposée ; car si le semblable seul engendre le semblable, comment le cerveau peut-il engendrer la pensée, qui ne lui ressemble en rien ? Le cerveau est solide, visible, tangible, coloré, mobile, organisé, irritable, et il produit la pensée, qui n’est rien de tout cela. Quoi ! vous exigez que le produit soit de même nature que le producteur, et vous me montrez un producteur accessible aux sens, à l’expérience, auquel vous attribuez un produit qu’aucune sensation, aucune expérience ne peut atteindre ! Quel rapport d’analogie y a-t-il entre un organe et une idée abstraite ? Et lorsque vous, admettez si aisément qu’un appareil matériel peut donner un résultat immatériel, comment pouvez-vous trouver extraordinaire que deux êtres ou natures, l’une immatérielle, l’autre matérielle, puissent non pas se produire l’une l’autre, mais influer l’une sur l’autre, et se modifier réciproquement ? Il y a difficulté, mystère, dans tous les systèmes ; mais assurément le mystère du matérialisme ne coûte pas moins à la raison que l’autre, et il est hérissé de difficultés accessoires qui répugnent au sens commun, d’où je crois pouvoir conclure que le matérialisme est un système qui n’est pas prouvé.

Ce système est-il plus clair ? Nous ne voyons dans toute la nature matérielle que de l’étendue et du mouvement. La nature organique n’est également qu’étendue et mobile. Et voilà qu’il nous faut la doter d’une force qui lui imprime la pensée, le sentiment, la volonté, choses qui ne sont point des mouvemens. Il y a des organes rouges ou blancs qui nous manifestent des pulsations de solides, des écoulemens de liquides, : des absorptions ou dégagemens de gaz, qui vibrent, se contractent, se dilatent, s’amollissent, se durcissent, et il nous faut admettre qu’en faisant tout cela, ils font en outre, et par là même, et sous cette forme, des réflexions, des raisonnemens, des résolutions qui ne sont substantiellement que des masses gélatineuses, fibreuses, à tel ou tel état d’irritation. Assurément, cela ne brilla pas d’évidence, et ne satisfait que très médiocrement le bon sens. Passons cependant. Je dis moi, je me sens un être dans un autre être, un je ne sais quoi intérieur qui pense, compare, juge et veut, qui jouit et souffre presque en même temps, craint ou espère, et il faut que j’admette que, sans qu’il existe nulle part un point ou tout cela converge, un centre ou tous ces