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voit dans l’homme que des fonctions vitales, rien qu’un mécanisme caractérisé par deux phénomènes, impression et réaction. Tout l’homme ne serait ainsi qu’un corps élastique. Ayant ainsi effacé les traits et les reliefs de la nature humaine, Cabanis est sur le point d’accorder toute la matière la sensibilité ou quelque chose d’approchant ; car, si la sensibilité n’est qu’une production de mouvemens, pourquoi ne serait-elle pas universelle ? pourquoi les forces de la physique, l’attraction, par exemple, n’aurait-elle pas une sorte d’instinct, un choix, presque des sympathies ? Pourquoi l’affinité qui est élective, ne s’expliquerait-elle point par la sensibilité ? Par là les distinctions entre la matière vivante et la matière sans vie s’affaiblissent. Il ne subsiste entre les êtres qu’une différence du plus au moins ; livrée à elle-même, la matière s’organise et se vivifie. Ainsi Cabanis, comme on l’a remarqué, tombe peu à peu dans l’animisme de Stahl. C’est là ce qui échappe à beaucoup de lecteurs, ce qu’en l’analysant M. de Tracy semble n’avoir pas aperçu, ce que l’auteur lui-même ne s’avouait peut-être pas distinctement. La doctrine des rapports du physique et du moral, si on la pressait un peu, aboutirait donc à une espèce de panthéisme déguisé ; sort déguisé, sort commun du reste à tous ceux qui méconnaissent l’existence substantielle de l’esprit humain, et Cabanis irait se mêler à la foule des imitateurs involontaires de Spinoza.

Si l’on peut induire quelque chose de semblable du livre qui nous a occupé jusqu’ici, il faut conclure que Cabanis s’est bien moins contredit qu’on ne l’a prétendu, lorsque dans un autre ouvrage il a délaissant les étroites recherches de l’analyse des phénomènes, donné l’esquisse d’une ontologie et substitué des êtres à des fonctions. Nous voulons parler de cette célèbre lettre sur les causes premières où réagissant sur ses doctrines, il a scandalisé cette secte philosophique qui fait profession d’observer des qualités sans en conclure qu’il y ait des choses. Ce n’était pas la première fois que Cabanis échappait aux liens de cette science étroite, et ce nouvel ouvrage ne diffère essentiellement du premier que par sa tendance. Nous pensons comme M. Peisse, cet écrit est d’un grand intérêt : il témoigne de la sincérité de l’auteur, il indique en lui un esprit plus large que l’esprit de son école ; mais il n’a pas, comme composition philosophique, une haute importance ; et il honore le savant plus qu’il ne sert. la science. Nous l’analyserons en peu de pages.

Cabanis écrit à M. Fauriel, à cet homme rare qui vient de nous être si cruellement enlevé, et qui, doué d’une originalité si simple, unissait les fermes croyances de son temps à l’amour profondément intelligent