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rare ; plutôt que de les vendre, les Maures, quelle que soit leur proverbiale avarice, se donnent le plaisir de verser leur sang. A l’heure qu’il est, il existe à Wadnoon un pêcheur espagnol dont le rachat a été l’objet de longues négociations entre son maître et le vice-consul d’Angleterre, qui est aussi vice-consul d’Espagne, M Wellshire, celui-là même que nos braves marins ont tout récemment recueilli à Mogador. M Wellshire a eu beau faire, le Maure n’a voulu consentir à lui renvoyer le pêcheur que si on lui comptait 200 duros, c’est-à-dire la valeur de 1,000 francs, rançon énorme, que M Wellshire, pauvre comme tous les vice-consuls, n’était pas en mesure de payer. Au reste, il faut tout dire, M Wellshire se fut décidé à donner les 200 duros, qu’il aurait infailliblement couru l’un de ces deux risques ou que le Maure, après avoir touché l’argent, eût refusé de lui livrer l’esclave, ou bien que le gouvernement espagnol eût fait difficulté de lui rembourser la somme. Cela s’est vu, il y a trois ans environ, à l’occasion d’un autre naufragé que M. Wellshire avait racheté de ses propres deniers. D’ailleurs, en supposant que ces malheureux mille francs se trouvent enfin et qu’on les offre au Maure qui les a exigés, est-il bien sûr qu’il n’ait pas perdu déjà toute confiance en la générosité chrétienne, et qu’il puisse rendre encore son captif ? Quoi qu’il en puisse être, il est vraiment honteux pour l’Europe qu’on se soit vu obligé d’entamer des négociations pareilles, et sans réussir, à quelques journées des places fortes dont les canons chrétiens tiennent incessamment en respect la barbarie musulmane des deux côtés du détroit de Gibraltar. L’Europe se doit à elle-même de reconquérir ceux de ses enfans qui, en plein XIXe siècle, sont esclaves dans les districts méridionaux du Maroc ; c’est là une œuvre d’humanité dont l’accomplissement ne peut se faire attendre. Hélas ! jusqu’au jour où l’Europe sera parvenue à faire comprendre aux Maures les plus simples principes du droit des gens, il faut bien se résigner à traiter avec leur avarice. Dieu sait le nombre de malheureux que l’on pourrait arracher à un sort intolérable, si à Mogador s’établissait une société où seraient représentées toutes les nations chrétiennes, bien décidée à racheter, sans acception de secte ni de pays, tous ceux dont on lui viendrait demander la rançon. Il y a dix ans, un marchand de Londres, qui par miracle avait échappé aux forbans de Wadnoon, ordonna dans son testament que la moitié de sa fortune fût consacrée à briser les fers des Anglais esclaves au sud de Mogador. Cette disposition charitable n’a pas encore été mise à exécution. D’année en année, les intérêts ont grossi le capital, les exécuteurs testamentaires peuvent disposer aujourd’hui d’une somme très considérable, dont on dirait qu’ils se trouvent embarrassés, car ils ont l’intention de demander au parlement que cette somme puisse être employée à fonder une école gratuite. La pétition énergiquement combattue, nous le savons ; des voix éloquentes demanderont que la volonté du testateur soit scrupuleusement respectée. L’honneur anglais, celui de la chrétienté entière, ne peut souffrir qu’un tel legs soit détourné de sa première destination.

Mais quittons les parias des contrées lointaines et revenons à ceux dont on