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C’est alors que les peuples de l’Europe verraient s’amoindrir, et pour ainsi dire se fondre dans leurs mains cette notable partie de leur avoir, et la perte qu’ils éprouveraient serait d’autant plus forte que leur capital en numéraire serait plus grand.

Si l’on en croit la plupart des économistes, la France serait aujourd’hui le pays de l’Europe qui posséderait la plus grande somme de métaux précieux. Son capital en numéraire, or et argent, formerait au dire de quelques-uns, le tiers de celui qui circule dans tout le continent européen : d’autres vont même plus loin, car ils n’estiment qu’à sept ou huit milliards, au plus, la somme totale du numéraire que l’Europe renferme. A ce compte, la France serait de tous les états européens le plus mal administré sous ce rapport. S’il en était ainsi, nos observations n’en auraient que plus de force, puisque le danger que nous venons de signaler serait plus particulièrement menaçant pour nous. Heureusement ces calculs paraissent reposer sur des hypothèses sans fondement.

On sait approximativement ce qu’il existe de numéraire en Angleterre et en France, parce que ces deux pays ont depuis long-temps l’excellente habitude de se rendre compte de leur situation financière, et qu’ils présentent de nombreux documens qui peuvent servir de base à ces estimations mais qui peut dire ce que possèdent en numéraire tant d’autres peuples de l’Europe qui n’ont jamais songé à dresser leur bilan ? On est d’abord parti de cette hypothèse, que les peuples les plus riches devaient être les mieux pourvus en numéraire, et c’est ainsi qu’on a placé la France et l’Angleterre hors ligne, en donnant à celle-ci, comme de raison, le premier rang. Des documens statistiques irrécusables étant venus ensuite montrer l’erreur de cette hypothèse quant aux deux peuples particulièrement en vue, on l’a redressée par rapport à eux ; mais on l’a maintenue pour les autres, et, en cela, nous croyons qu’on s’est trompé. Ce ne sont pas les pays les plus commerçans qui possèdent, toute proportion gardée, la plus grande somme de numéraire : ce sont ceux qui sont privés des bienfaits du crédit, où les paiemens ne se font qu’argent comptant, où les placemens sont difficiles et les relations peu sûres. Ce sont les pays déchirés par la guerre civile comme l’Espagne, ou dévorés comme la Turquie par une administration tracassière et pillarde. C’est là que des trésors se forment, et que le numéraire s’accumule obscurément. Le personnage de l’avare entassant écu sur écu, tel que l’a dépeint Molière, pouvait être vrai de son temps, au sortir des troubles de la fronde : il ne l’est assurément pas de nos jours. Les avares n’entassent