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déférées à leur juridiction, il n’en est pas une qui ne leur rapporte un profit considérable. Le pacha est chargé de répartir les contributions et de les faire entrer dans le trésor public, ainsi que les amendes dont les villes ou les sujets de l’empereur sont à chaque instant frappés. Ils ne sont pour cela soumis à aucun contrôle, et l’on comprend sans peine qu’il leur soit facile d’agrandir leurs biens et d’entasser les capitaux. Il faut tout dire cependant : depuis qu’il y a des pachas et des kalifas, il est hors d’exemple qu’ils aient tranquillement joui du fruit de leurs exactions et de leurs rapines. Presque toujours le moment arrive où, sans aucune forme de procès, l’empereur les dépouille de toutes leurs richesses, et, encore doivent-ils s’estimer fort heureux qu’il ne se fasse point apporter leurs têtes en même temps que leur or.

Les questions contentieuses, les causes criminelles, les affaires civiles, sont du ressort d’un cadi, qui est aussi chargé de desservir la mosquée principale. Le cadi est arbitrairement nommé par le sultan, on n’a jamais vu, du reste, que le choix du souverain se soit arrêté sur un personnage absolument dépourvu de lumières et de considération. Le traitement du cadi est de 20 duros par mois (100 francs environ), qui se perçoivent sur les revenus des mosquées. Les grandes mosquées jouissent de biens considérables, qu’elles doivent aux libéralités du sultan et des plus riches Maures ; ces biens sont gérés par un prêtre qui, en outre, dirige les cérémonies du culte. Le cadi est tenu de rendre gratuitement la justice ; mais la corruption est si contagieuse au Maroc, que, dès les premiers jours de sa magistrature, le plus vertueux cadi devient aussi vénal, aussi avide qu’un vieux, pacha. Sous les ordres immédiats du juge se trouve un officier (almotacen ou mejacten) chargé de mesurer les grains, d’estimer les fruits et toute sorte de marchandises, le blé et quelques produits d’Europe exceptés. Comme le pacha et le kalifa, le mejacten n’a point d’émolumens fixes, mais sous tous les règnes, il lui a suffi d’une année d’abondance pour s’enrichir. Autrefois, il y a trois ou quatre siècles, le peuple entier procédait à la nomination du mejacten ; - c’était là un des emprunts faits aux institutions municipales des Goths par les sectateurs de l’islam. Auourd’hui encore, c’est par l’élection que l’on procède, bien qu’en réalité ce soit le pacha qui la dirige et la détermine. Quand l’occasion se présente de nommer un mejacten, le pacha convoque les alcades des divers quartiers de la ville, et d’autres notables au nombre de cinq cents environ : après qu’il a demandé leur avis pour la forme, l’élection se fait au scrutin secret ; mais il a soin d’abord de proclamer le nom sur lequel doivent se réunir tous les suffrages, et ce nom ne manque point d’obtenir la plus ferme et la plus unanimité. On concevra aisément l’intérêt que prend le pacha à la nomination du mejacten, du commencement à la fin de l’année, cet officier divise en trois parts ses profits la première pour lui, la seconde pour le pacha, la troisième pour le secrétaire du pacha, c’est-à-dire encore pour le pacha.

Dans tout quartier des villes principales, si petit qu’il soit, un Maure des