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Au fond, si l’on excepte les époques de guerre civile et de réaction, la loi pénale du Maroc n’a d’autre but que d’assouvir la rapacité du fisc, en exaltant les vengeances et les ressentimens particuliers. Un homme est-il assassiné, son père, son fils ou son parent le plus proche, a le droit de mettre à mort le coupable, mais après la sentence du cadi, en public et sous les yeux même de la justice. Cette loi est-elle arabe, ou bien serait-elle d’origine visigothe ? Par l’exécution des assassins du général Esteller, on a pu voir tout récemment qu’en Espagne la reine elle-même n’a pas le droit de prononcer une commutation de peine, si les parens de la victime n’y ont d’abord consenti. Au Maroc pourtant, il est extrêmement rare que la famille de l’homme assassiné se montre inflexible ; huit fois sur dix, pour le moins, elle accepte une réparation pécuniaire, dont les trois quarts reviennent à l’empereur ; le condamné n’a plus ensuite à subir qu’une année de prison. Aux époques de paix et de calme, il n’est presque hors d’exemple qu’on applique la peine capitale ; la paix intérieure vient-elle à être le moins du monde troublée, se voit-on menacé d’une guerre civile ou d’une guerre étrangère, c’est par centaines que l’on coupe les têtes, celles de pauvres et des riches, des plus petits comme des plus puissans. Pour prévenir les mouvemens populaires ou pour les réprimer, dans toutes les villes les pachas ne peuvent souvent disposer que du petit nombre de troupes qui forment la garnison sédentaire. C’est par la terreur, par la promptitude et l’énergie avec laquelle ils la répandent ; qu’ils essaient de suppléer à la force que ne peuvent leur donner les institutions.

De tous les crimes qui se commettent dans les états barbaresques, c’est le vol qui est l’objet de la répression la plus sévère ; jamais le voleur ne doit s’attendre à la moindre indulgence, jamais il n’est admis à la réparation purement pécuniaire ; le voleur est plus durement traité que le meurtrier, le sacrilège ou le conspirateur. A peine convaincu, c’est-à-dire à peine conduit devant le cadi, le voleur est flagellé jusqu’à ce que son corps ne soit plus qu’une plaie hideuse et sanglante ; à sa première récidive, on lui coupe une main ; à la seconde, la main qui lui reste ; à la troisième, le pied droit ; à la quatrième, le pied gauche ; au cinquième délit, on le fusille impitoyablement par derrière. C’est ainsi qu’on parvient à contenir ce penchant naturel au vol, qui, pour les Maures d’Afrique, est souvent une véritable et irrésistible passion. Un vol a-t-il lieu sur un chemin public ou dans tout autre endroit inhabité, l’empereur, si l’on ne peut saisir le coupable, prononce une forte amende contre la principale autorité de la ville ou du village sur le territoire duquel le vol a été commis. En promulguant cette loi, Mahomet s’était proposé uniquement d’assurer un peu de sécurité aux marchands et aux voyageurs ; mais, dans un pays d’absolutisme, le législateur ne peut avoir une seule bonne intention qui, à la longue, ne fournisse un prétexte à des abus intolérables : quand il ordonne, ou plutôt quand il provoque de pareille enquêtes, l’empereur n’a aujourd’hui d’autre but que de tourmenter ses pachas et de les dépouiller.