Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/443

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peu d’industrie qui les anime, si ce n’est de l’infatigable activité des Grecs ? Sans eux que serait l’Albanie ? la Serbie, si jalouse du Romeos, que deviendrait-elle sans lui ? En Serbie, les meilleures maisons de commerce, les meilleurs hanes, les meilleures écoles, sont tenus par des Grecs. Le Grec est le mens agitans molem de tout l’Orient : où il manque, il y a barbarie.

Sans doute on ne peut nier que les invasions slaves du moyen-âge n’aient rempli d’étrangers toutes les anciennes provinces de Byzance. Que s’ensuit-il, si ces étrangers aujourd’hui parlent grec, sentent et vivent à la grecque ? Loin de rougir de ces souvenirs, l’Hellène doit en être fier. N’est-il pas étonnant en effet qu’un aussi petit peuple, sans cesse inondé, envahi par des millions de barbares ; les fonde peu à peu dans sa propre unité, et, vaincu par la force brutale, réussisse, par la supériorité de sa pensée, à subjuguer ses maîtres au point de leur faire perdre l’usage de leur propre langue ? Au lieu de chercher avec les érudits allemands les traces de l’action slave chez les Grecs, on devrait plutôt chercher par quels chemins inconnus, par quelle force mystérieuse l’hellénisme a pu s’étendre comme un fluide électrique jusqu’aux terres slaves les plus lointaines. Le principe hellénique est le lien commun, le génie fécondant de la moitié de l’Europe ; sans lui, les Slaves auraient été privés de l’influence vivifiante qui a maintenu et fortifié leur originalité ; sans lui, l’Europe ne connaîtrait que des Germains plus ou moins latinisés, l’uniformité romaine régnerait partout. Dans l’ordre religieux, examinez les croyances, les pratiques, les cérémonies des Slaves ; ne sont-elle pas toutes grecques ? En quoi la messe et le symbole de Pétersbourg diffèrent-ils de ceux d’Athènes ? – Les costumes slaves, malgré leur variété, trahissent presque tous leur origine byzantine. Le vêtement serbe est jusqu’à cette heure presque entièrement grec : ce sont la coiffure, le spencer du palicare, et ses bottines d’étoffe brodées, diaprées pour ainsi dire de vives couleurs. La blanche tunique grecque a passé des Illyriens aux Kosaques et à tous les Russes. Le kakochnik, dont les femmes de Moscou chargent leur tête, semble détaché d’une mosaïque d’Anatolie. Comme le paysan du Péloponèse, le moujik de Pétersbourg recherche surtout pour vêtement, les blanches fourrures de ses agneaux, dont il retourne en dedans la chaude toison pour l’hiver. — Dans les arts, la soumission du Slave au génie grec n’est pas moins évidente. Si je vais contempler le grad ou kremle de Prague, de Cracovie, de Moscou, de Novgorod, je n’y vois que des copies successives de l’acropolis d’Athènes. Toutes les cathédrales slaves répètent la Sainte-Sophie du Bosphore, et