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à demi écroulés de Tetuan. Barques et brigantines sont montées par quinze cents hommes tout au plus ; dans ce nombre, il faut compter, non-seulement les officiers de marine et leurs soldats, mais les ouvriers des ports. Ces ouvriers sont, dit-on, des charpentiers assez habiles ; quant aux officiers et à leurs soldats, ce sont, on le conçoit, les plus ignorans de tous les marins de la terre. Sur les côtes même d’Andalousie, il n’est pas un pêcheur qui, en fait de sciences exactes et de tactique navale, ne fût capable de leur en remontrer. Point de chantiers ni d’arsenaux, si ce n’est à Salé ; et encore, à Salé même, les travaux ont-ils été abandonnés, ou peu s’en faut, depuis l’époque où Abderraman eut la malheureuse idée de faire construire une grande corvette qui, achevée complètement, armée de tous ses canons et de toutes ses voiles, ne put pas même être lancée à la mer.


V — PRODUCTIONS DU SOL. — ÉTAT PRESENT DE L’AGRICULTURE, DE L’INDUSTRIE ET DU COMMERCE

À ce gouvernement brutal et inintelligent, qui ne sait ni se constituer, ni organiser ses moyens de conservation et de défense, le ciel a livré pourtant un des plus beaux et des plus fertiles pays de la terre. À l’exception des hautes cimes de l’Atlas, les collines, les vallées, les plaines, sont partout recouvertes d’une terre végétale extrêmement féconde : ce ne sont que débris d’ocre, lits de marne et de plâtre, heureusement combinés avec le silex et le détritus des forêts. Nulle part on n’aperçoit les traces de convulsions souterraines et d’éruptions volcaniques. Comme dans le reste de l’Afrique, les montagnes sont à peu près déjà dépouillées d’arbres ; les genêts, les buis, les lentisques y forment d’épais fourrés, qu’il faudrait s’attacher à détruire avant d’y entreprendre les grandes plantations. Loin des villes pourtant s’élèvent encore de magnifiques taillis de chênes, de hêtres ; de yeuses, de genévriers, et d’autres arbres d’un bois dur et solide ; mais, si on ne se hâte d’arracher le pays à la barbarie qui le désole, avant un demi-siècle ces forêts auront disparu. C’est là que durant les guerres civiles se réfugient les proscrits et les partis vaincus, et, pour les en chasser, on n’imagine point de meilleur moyen que d’y porter la dévastation et le feu.

Dans un espace formant une circonférence de plusieurs lieues, chaque ville importante est entourée de huertas, prairies, champs et jardins, que séparent les uns des autres de superbes haies de lentisques. Aussi loin que le regard peut s’étendre, ce ne sont dans les huertas bien cultivées que boquets d’orangers, de citronniers, de mûriers, çà et là coupés par des treilles appuyées à l’érable, comme dans le midi de la France, et par toute espèce d’arbres fruitiers. Vous diriez du midi de l’Espagne, si ce n’est pourtant que les rivières du Maroc sont plus abondantes, plus limpides, plus poissonneuses, que les canaux, plantés de roseaux gigantesques et de peupliers