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Les bords de cette grande rivière présentent une suite de tableaux singulièrement sauvages. Ses rives, sur lesquelles pendent des forêts ou des rochers de forme bizarre, sont dégradées par l’action des débordemens. Les troncs d’arbres, déracinés et entraînés par les eaux, s’accumulent sur les bas fonds et obstruent le cours du fleuve, qu’on ne peut remonter qu’avec les plus grandes précautions. Ces bois flottés, entassés sur ces rives vaseuses, forment des tours, des cavernes et donnent un caractère d’extrême désolation à ces rivières de l’Amérique septentrionale. La crue du Missouri a lieu en juin ; la rivière coule alors avec un grand murmure et une rapidité effrayante. Ses bords, rongés par les eaux, s’abîment, entraînant avec eux des arbres énormes qui tombent dans le fleuve, dont ils descendent impétueusement le courant. Tout dans le paysage a un aspect sauvage et primitif. Les plantes rampantes enveloppent les troncs renversés que les eaux n’ont pas emportés ; des cygnes, des oies sauvages et des grues volent par bandes ; des vautours planent dans les airs, et d’innombrables troupes de perroquets sont perchées sur les taillis et tes hautes tiges des maïs.

Au-dessous du confluent du Missouri et de la rivière Kansas sont situés le Fort-Osage et la petite ville de Lexington, aux environs desquels commencent ces longs espaces découverts appelés les prairies. Les prairies des environs de Lexington étaient habitées, il y a trente ans, par les Indiens Osages (Wasaj) ; quelques chasseurs français y avaient seuls dressé leurs cabanes. Aujourd’hui les débris de la tribu des Osages ont été repoussés dans les prairies de l’Arkansas, et les limites des états de l’Union et du territoire libre des Indiens ont été reportées au confinent des deux rivières. Là sont situés les derniers cantonnemens américains destinés à protéger la frontière indienne.

Quatre compagnies du 6me régiment de ligne, fortes d’environ cent vingt hommes, et cent rangers ou soldats de milice, armés, montés et exercés à la guerre indienne, composent le poste militaire de Leavenworth, et suffisent pour tenir en respect les peuplades indigènes de l’ouest. Un poste de douane, établi dans les mêmes cantonnemens, visite avec soin les bateaux à vapeur qui remontent le fleuve pour veiller à ce qu’ils ne transportent pas d’eau-de-vie, l’importation de cette liqueur sur le territoire indien étant sévèrement interdite. La prohibition ne peut toutefois s’exercer que sur de grands quantités ; il y a plus, elle est en quelque sorte illusoire ; des colons qui ont pénétré à 15 ou 16 milles dans l’intérieur du territoire indien préparent du whiskey et le vendent à très bas prix : aussi les tribus voisines des frontières trouvent-elles facilement à s’en procurer et en font-elles le