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vis-à-vis des préceptes régnans de Le Batteux et des tragédies de l’empire, l’émeute poétique de la restauration fut parfaitement légitime ; toutefois, dans la calme impartialité d’aujourd’hui, l’hyperbolique persistance de quelques radicaux littéraires ne semble-t-elle pas une gageure ou il se dépense sans aucun doute beaucoup d’esprit, mais ou il pourrait aussi se perdre beaucoup de talens ? Prendre le rôle de ligueur le lendemain de l’édit de Nantes, se déclarer frondeur en plein règne de Louis XIV, aurait été sans aucun doute un moyen bruyant de se faire remarquer ; peut-être n’eût-ce pas été un moyen de succès durable.

Certes, ces réflexions moroses ne s’appliquent pas, dans toute leur dureté, au trop spirituel auteur de Fortunio, à un poète dont je sais apprécier, pour ma part, la plume tout-à-fait brillante et la palette colorée ; pourtant le dernier et tout récent ouvrage de M Gautier sur les Grotesques est bien propre, il en faut convenir, à confirmer la critique dans ses regrets, je voudrais pouvoir dire dans ses vœux. À la vérité, en cherchant aujourd’hui à réhabiliter la littérature de Louis XIII aux dépens de celle de Louis XIV, en donnant raison à Théophile et à Saint-Amant contre Bouleau, M. Gautier n’a pas quitté, je le soupçonne, ces domaines de la fantaisie ou sa muse hasardeuse se joue quelquefois avec bonheur, mais, comme l’a dit un grand poète, dont l’historien des Grotesques ne saurait récuser, l’autorité :

L’idéal tombe en poudre au toucher du réel.


Le vers de M. Victor Hugo exprime merveilleusement ce que je veux dire ; le contact des faits, le voisinage de l’histoire, sont dangereux aux utopistes en littérature comme aux utopistes en politique. C’est un contrôle fatal, c’est surprendre les secrets de la vie dans la mort, in anima vili. Supposez quelque partisan du communisme faisant l’apologie des anabaptistes ; ce sera à peu près le pendant du néo-romantisme replaçant sur le piédestal l’école poétique du temps de Louis XIII. Provoquer de pareilles comparaisons est au moins imprudent : en montrant vos préférences dans le passé, vous attirez la lumière sur le présent. Étrange moyen de nous faire croire à vos victoires actuelles, et de nous étaler les défaites de ceux que vous proclamez (un peu à tort, il est vrai) vos précurseurs et vos aïeux directs ! Certes, il serait souverainement injuste de traiter M. Gautier sur le ton que M. Gautier lui-même, n’hésite pas à prendre à l’égard de l’ignorant Boileau et du filandreux Malherbe ; mais cette indépendance absolue de jugemens, ces airs délibérés à l’égard de toute