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néo-romantique de ces derniers mois, quelques jeunes Sicambres du feuilleton se sont imaginé avoir découvert le théâtre grec ; on nous a même démontré le plus sérieusement du monde que les tragédies de Sophocle n’étaient pas des tragédies, et qu’on se trompait là-dessus depuis bientôt trois mille ans. L’auteur de l’Oedipe roi transformé en précurseur d’Hernani ! l’assertion restera comme un spécimen bouffon de cette outrecuidance littéraire qui versifie tant bien que mal la prose des traducteurs de collége, et fait des admirables canevas grecs de vrais revers de tapisserie. Vous figurez-vous Scarron rimant Virgile sur l’insipide version de Perrin ? ’Mieux vaut qu’il travestisse tout bonnement l’Enéide. C’est plus sincère ; je n’aime pas les déguisemens.

Scarron nous ramène à ces Grotesques de la première moitié du XVIIe siècle dont M. Gautier parle avec une prédilection qui se prend quelquefois à sourire d’elle-même mais qui au fond, est réelle, et par conséquent caractéristique. Il y a là, en effet, des analogies que je n’aurais osé indiquer, et qu’avoue sans vergogne l’admiration audacieuse, d’autres diraient effrontée, de l’auteur de Fortunio. De tous les noms assurément de la littérature française, il n’y en avait pas de plus universellement décriés que ceux de cette école bâtarde des contemporains de Richelieu, de cette cynique génération du Parnasse satirique qui ne sut garder de l’art capricieux des Valois que l’esprit de turbulence ; sans rien pressentir des grands et sévères desseins de l’art de Louis XIV, Ce groupe bigarré des Cyrano, des Saint-Amant, et des Théophile peut se définir une sorte d’émeute de matamores contre Malherbe, une émeute dont Boileau réprimera bientôt les derniers fermens ; c’est une fronde, cette fois de bas étage, entre le Richelieu et le Louis XIV non pas de la poésie peut-être, mais certainement de prosodie. Sans doute les exécutions faites par Despréaux furent sans pitié, et quelques-uns des méchans auteurs qu’il fustigea si durement ne méritaient pas le ridicule immortel qu’impriment quelques vers bien frappés et sus de tous. On dirait ces squelettes de pendus que Louis XI laissait attachés aux potences pour faire peur à ses voisins de Plessis-lès-Tours. On doit cependant avoir un peu d’entrailles pour les vaincus, et, sans réhabiliter Cinq-Mars aux dépens du cardinal, il faut le savoir apprécier avec moins de rigueur que ne firent les juges impitoyables d’alors. J’ai souvent pensé qu’un travail étudié et sans passion sur cette période mal connue de transition littéraire pourrait devenir, en de bonnes mains, une œuvre piquante. Une critique équitable trouverait là l’occasion fréquente d’exercer