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réputation. J’ai bu autrefois à l’auberge avec un auteur qui avait été grand ami de Théophile, et qui m’a appris bien d’autres tours.


En somme, on le voit, c’est une époque d’anarchie et de corruption, où le goût était aussi aventureux que les évènemens. Il fallait bien à la fin, que le calme rentrât dans les intelligences troublées comme dans la société turbulente. Richelieu, Descartes, Boileau, se correspondent à merveille : leur tâche, il est vrai, est constituante et non révolutionnaire ; mais cette gloire ne vaut-elle pas l’autre ? Avec eux, la politique émeutière de la ligue, le scepticisme ivre du XVIe siècle, l’art aussi irrégulier qu’impuissant des successeurs rebelles de Malherbe[1], s’ordonnent et préparent cette magnifique unité du règne de Louis XIV, qui offrit au monde le plus majestueux spectacle. Les irrévérentes ironies de M. Gautier contre Despréaux peuvent être spirituelles ; elles ne changeront rien aux choses. C’est là de l’histoire.

Un délicieux et paradoxal morceau de Charles Nodier sur Cyrano[2] (que M. Gautier ne paraît pas avoir connu, mais que nous n’avons pas oublié), une judicieuse et fine notice de M. Bazin sur Théophile de Viau, plusieurs articles très brillans et étudiés de M Philarète Chasles, dont les lecteurs de la Revue se souviennent, nous avaient mis en goût de cette période Louis XIII, sur laquelle, l’auteur des Grotesques revient aujourd’hui avec toute sorte de brusqueries inattendues et divertissantes. On n’a pas besoin, il est vrai, de se faire cercler les côtés à force de rire ; comme l’auteur le propose ; mais l’hilarité, je n’en disconviens pas, est franchement, provoquée à plus d’un endroit. M. Gautier, par exemple, est impayable quand il montre le poète, crotté dont les semelles usées pétrissent la boue à crû, quand il peint le pédant avec sa soutane moirée de graisse et ses grègues faites d’une thèse de Sorbonne. Scudéry sur les échasses de son style, l’ancillaire Colletet aux genoux de sa Claudine, Chapelain avec ses rimes criardes, Saint-Amant charbonnant les cabarets de vers admirables, le rodomont Cyrano dans ses duels avec la raison, frétillent et

  1. Je ne me sens pas disposé à défendre contre M. Gautier les façons rogues et acariâtres de Malherbe, qui fut cependant un vrai poète ; mais je suis heureux de pouvoir le renvoyer à l’opinion de ce même Théophile de Viau, si surfait par lui, et qui a dit, plus équitablement : « Malherbe, qui nous a appris le français, et dans les écrits duquel je lis avec admiration l’immortalité de sa vie. » On se doute bien que M. Gautier a dissimulé cette phrase.
  2. Revue de Paris, 1831, tome XXIX.