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MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE.

d’égoïsme et d’ingratitude ! Allons, puisque vous l’exigez, nous ferons quelque chose pour le hussard. D’ailleurs, nous dirons cela en plein tribunal ; pour peu que notre avocat sache en tirer parti, ça produira un bon effet sur l’esprit des juges.

À ces mots, M. Des Tournelles, ayant demandé quelques instans de réflexion pour trouver, ainsi qu’il l’avait dit lui-même, le défaut de la loi, parut encore une fois s’abîmer dans une méditation profonde. Au bout de dix minutes, il en sortit radieux, le visage épanoui et la bouche souriante : ce que voyant, M. de La Seiglière ressentit la joie d’un homme qui, sous le coup d’un arrêt de mort, s’entend condamner aux galères à perpétuité.

— Eh bien ! monsieur ? demanda-t-il.

— Eh bien ! monsieur le marquis, répondit M. Des Tournelles en prenant tout d’un coup un air piteux et consterné, vous êtes perdu, perdu sans ressource, perdu sans espoir. Tout considéré, tout pesé, tout calculé, plaider serait un pas de clerc : vous y compromettriez votre réputation sans y sauver votre fortune. Je me ferais fort de tourner la loi et de vous arracher aux étreintes de l’article 960 du chapitre des donations ; avec le code, il y a toujours moyen de s’arranger. Malheureusement, les termes de l’acte qui vous a réintégré dans vos biens sont trop nets, trop précis et trop explicites, pour qu’il soit permis, avec la meilleure volonté du monde, d’en altérer et d’en dénaturer le sens ; un avoué lui-même y perdrait sa peine et son temps. Le vieux Stamply ne vous a fait don de sa fortune qu’avec la conviction que son fils était mort ; le fils vit : donc, le père ne vous a rien donné. Tirez-vous de là. – Mais je voudrais bien savoir, s’écria-t-il d’un air vainqueur, pourquoi nous nous amusons, vous et moi, à chercher si loin un dénouement fâcheux, s’il n’était impossible, lorsque nous en avons un là, tout près, sous la main, honorable autant qu’infaillible. Pour peu que vous possédiez nos auteurs comiques, vous n’êtes pas sans avoir remarqué sans doute que toutes les comédies finissent par un mariage, si bien qu’il semble que le mariage ait été spécialement institué pour l’agrément et pour l’utilité des poètes. Le mariage, monsieur le marquis ! c’est le grand ressort, c’est le Deus ex machina, c’est l’épée d’Alexandre tranchant le nœud gordien. Voyez Molière, voyez Rognard, voyez les tous : comment sortiraient-ils de leurs inventions, s’ils n’en sortaient par un mariage ? Dans toutes comédies, qui rapproche les familles divisées ? qui termine les différents ? qui clôt les procès, éteint les haines, met fin aux amours ?